Lors d'une allocution jeudi au Middle East Institute à Washington, l'envoyé américain de la coalition internationale combattant le groupe Etat islamique (EI), Brett McGurk, a laissé entendre que les actions de la Turquie avaient indirectement permis à des factions liées à Al Qaîda, comme l'ex-Front Al Nosra, de s'emparer de la province d'Idleb dans le nord de la Syrie. «Idleb constitue aujourd'hui un gros problème. C'est un sanctuaire pour Al Qaîda tout près de la frontière de la Turquie. C'est un sujet dont nous allons évidemment discuter avec les Turcs», avait-il dit. Comme il fallait s'y attendre, les déclarations du responsable américain ont suscité le courroux d'Ankara. Le porte-parole du président turc, Recep Tayyip Erdogan, Ibrahim Kalin, a ainsi vivement dénoncé hier ces propos, les qualifiant d'«inacceptables». «Une telle allusion tentant d'associer la Turquie avec cette organisation terroriste à Idleb est inacceptable», a-t-il dit lors d'un entretien télévisé. Les propos du responsable américain n'ont pas été tenus «avec une bonne intention», a-t-il ajouté. Le ministère turc des Affaires étrangères avait, de son côté, protesté dès dimanche contre les déclarations «provocantes» de M. McGurk, bête noire d'Ankara, qui voit d'un mauvais œil les liens qu'il entretient avec les milices kurdes syriennes considérées par la Turquie comme un prolongement des séparatistes turcs du PKK. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, avait même appelé en mai au départ de M. McGurk, mais Washington avait répliqué en réitérant son soutien à son émissaire. Les Etats-Unis considèrent les milices kurdes syriennes des YPG comme les seules forces locales capables de lutter au sol contre les terroristes de Daech et leur fournissent des armes, au grand dam de la Turquie. Ce n'est pas la première fois que la Turquie est accusée de soutenir les groupes terroristes en Syrie. D'autres capitales occidentales ont soupçonné Ankara, dès 2014, de jouer double jeu. La preuve du jeu trouble mené par Ankara a été apportée lors du fameux raid par les forces spéciales américaines contre Abou Sayyaf en Syrie en mai 2015. Abou Sayyaf, qui a été tué lors du raid, était l'un des principaux dirigeants de l'EI et en quelque sorte son ministre des Finances. Les documents trouvés lors de l'opération montrent clairement qu'il était en relation directe avec des officiels turcs, avait alors expliqué le Guardian. Abou Sayyaf avait notamment la responsabilité de la vente pour Daech sur le marché noir de pétrole et de gaz, ce qui représentait des revenus pouvant atteindre 10 millions de dollars par jour. Les documents et disques durs informatiques saisis lors du raid révèlent de façon «très claire» et «indéniable» les liens existant entre la Turquie et Daech. Cela explique sans doute la décision prise par la suite par la Turquie de lancer des attaques contre Daech même si son intervention militaire est avant tout dirigée contre les Kurdes… qui luttent contre Daech. Membre de l'Otan, la Turquie est accusée depuis longtemps par les experts, les Kurdes et même l'ancien vice-président américain Joe Biden, dans ce qui était considéré alors comme une gaffe diplomatique, de ne rien faire pour empêcher l'approvisionnement en armes et en combattants volontaires de Daech à travers sa frontière syrienne. Mais la complicité et la collaboration ont atteint des niveaux bien plus importants qu'imaginé auparavant. En novembre 2014, un ancien combattant de Daech expliquait que l'Etat islamique considérait la Turquie comme un allié.