C'est en jeune femme absolument rayonnante, affublée d'une veste et d'un pantalon blancs, que Loubna Ahmed El Hussein nous a honorés d'une visite hier au siège de la rédaction, accompagnée de Yasmina Chouaki de l'association Tharwa Fadhma N'ssoumer. En deux mots, Loubna Hussein est cette journaliste et employée à la section médias de la mission des Nations unies au Soudan qui défraya la chronique et devint une icône en se faisant condamner par un tribunal de Khartoum à 40 coups de fouet pour… « port de pantalon ». « Elles ne sont ni 100, ni 1000, ni 10 000. Il y a des dizaines de milliers de femmes qui ont été fouettées pour le même motif. Les statistiques dont nous disposons pour la seule année 2008, et qui émanent du directeur général de la police lui-même, parlent de 43 000 femmes, et pas 43, dans la seule ville de Khartoum, qui ont subi un tel traitement », indique d'emblée Loubna El Hussein. A l'origine de cet infâme châtiment : l'article 152 du code pénal qui traite des « vêtements qui portent atteinte à la morale publique ». Les détails de l'affaire Loubna El Hussein « C'était le 3 juillet 2009. J'étais dans un restaurant à Khartoum où il y avait une fête ce soir-là. La fête, qui devait se terminer à 23h comme le veut la loi, s'est un peu prolongée. Il n'en faudra pas plus à la police pour y effectuer une rafle musclée. Les policiers se sont mis à embarquer toutes les femmes qui étaient en pantalon comme s'il s'agissait d'un gang armé. Et j'étais du lot. Nous étions environ une quinzaine de femmes à être arrêtées et conduites au commissariat. C'était un drôle de défilé de mode », ironise-t-elle. Au fond, Loubna n'était pas si surprise que cela par cette invasion ubuesque : « Cela ne m'étonne pas quand on sait que le régime dispose d'agents postés à l'entrée des facs qui sont expressément chargés de surveiller la tenue vestimentaire des jeunes filles. Imaginez des inquisiteurs dûment rémunérés pour détecter les traces de rouge à lèvres sur la bouche des étudiantes ! Donc, ça ne me surprend pas… » Et de poursuivre : « Je suis restée un jour au commissariat. Le jour du procès, j'ai refusé de comparaître sans mon avocat. J'avais pris attache au préalable avec un avocat de la représentation des Nations unies. Les autres femmes ont eu droit à un procès groupé et ont subi 40 coups de fouet. Il faut savoir que dans ce genre d'audience, les droits de la défense sont bannis. Même lors de mon procès, qui a été très médiatique, le juge s'obstinait à me refuser le droit de me défendre. J'ai été condamnée à payer 500 livres (environ 200 dollars) sous peine d'écoper d'un mois de prison. Par principe, j'ai refusé de payer l'amende et demandé à faire la prison. Mais voilà que l'Union des journalistes a payé l'amende à ma place sans me consulter et j'ai été libérée. Paradoxalement, cette Union est à la solde du général El Béchir, et c'est pour étouffer l'affaire qu'elle a payé l'amende. » Des putschistes érigés en muftis Loubna Hussein fait une véritable plaidoirie contre l'article 152 : « Ce sont des militaires sans foi ni loi, et qui n'ont aucune connaissance des subtilités du droit religieux, qui l'ont instituée en prétendant que cela découle des préceptes de l'Islam. » « La Constitution soudanaise stipule que les lois et les législations sont l'émanation de la charia. OK, moi, je respecte cette disposition. Seulement, est-ce que fouetter des femmes pour des histoires de vêtements est compatible avec la charia ? Si condamner les femmes à 40 coups de fouet est islamique, je suis prête à subir 400 coups de fouet ! » C'est peut-être l'un des fruits du combat de Loubna Hussein pour sa dignité : l'article 152 est aujourd'hui « gelé ». « Moi, je me pose la question : est-ce que cela participe d'une conviction sincère ou est-ce l'effet d'une manœuvre électoraliste en perspective des prochaines élections ? », interroge la charismatique féministe soudanaise. Aujourd'hui, Loubna El Hussein vit à Paris où elle s'attelle à écrire un livre sur cette affaire. « Après le dernier procès qui s'est tenu le 7 septembre 2009, j'ai commencé à recevoir des menaces et des intimidations de plus en plus inquiétantes. Quand les menaces sont devenues intenables, j'ai quitté le Soudan. Depuis, je ne suis plus retournée à Khartoum. Pour moi, cette affaire va bien au-delà de cette fable du pantalon. C'est une question de liberté de choix. Moi, je dis que la femme qui n'a pas le droit de choisir ses fringues, peut-elle choisir le président de la République qu'elle veut ou le député qu'elle veut ou le travail qu'elle veut ou le mari qu'elle désire ? Si je ne peux pas décider du contenu de ma garde-robe, comment décider du reste ? » Hasard de calendrier : Loubna El Hussein a quitté son pays le 18 novembre 2009, soit le jour même où a eu lieu le fameux match d'Oum Durman entre l'Algérie et l'Egypte. « Mais j'ai pu mesurer l'élan soulevé par ce match et le rapprochement qu'il a suscité entre Algériens et Soudanais. Qu'Allah fasse se multiplier les matchs pour l'unité des peuples ! », lâche Loubna dans un éclat de rire…