Chaque année en Algérie, 5000 à 7000 femmes découvrent qu'elles sont atteintes d'un cancer du sein. Au-delà de la détresse et du traitement, lourd, la plupart des patientes de l'intérieur du pays doivent trouver un endroit où dormir et de quoi manger. Une quête qui tourne au calvaire. « Je suis là depuis deux semaines et je vais rester encore une autre dizaine de jours, car les séances de radiothérapie se font à quelques jours d'intervalle. » Vêtue d'un jogging bleu cachant mal sa maigreur, Khada, 32 ans, est atteinte d'un cancer du sein. Hospitalisée à l'hôpital d'Oran, elle vient de la wilaya de Tiaret. Pas question pour elle de faire des allers et retours. Divorcée et deux filles à charge, elle n'a presque personne pour lui assurer le transport. Elle a même passé la fête de l'Aïd El Adha à l'hôpital. « Je me sentirais comme un fardeau pour mes frères si je leur demandais de venir me chercher pour une telle occasion qui nécessite des dépenses énormes. » Plus que les séances de chimiothérapie ou de radiothérapie, devenues presque banales pour les patientes que nous avons rencontrées à l'hôpital, l'hébergement et la restauration leur posent un vrai problème, parfois insoluble. Où passer la nuit en attendant la séance du lendemain ? L'intérieur du service de maternité, qui héberge les malades, ressemble à un centre de refuge au lendemain d'un tremblement de terre. Les patientes sont assises par terre. Pas moyen de leur trouver un lit. Elles se débrouillent, tant bien que mal, pour laver et arranger leur linge et faire la vaisselle. Aujourd'hui en Algérie, 30% des cas de cancer féminin sont des cancers du sein. 7000 femmes sont atteintes tous les ans par cette pathologie. Pour autant, elles ne parlent pas de leur maladie mais plutôt de leur mal vie. Comme un cri de détresse. Rechute Pour ramener Khada chez elle à Tiaret au douar de Aïn D'hab, il faudrait débourser plus de 2000 DA ! Quand elle venait seulement pour un contrôle, ses frères dépensaient pour elle 4000 DA, ce qui l'embarrassait. « Ils ne sont pas obligés de supporter tous ces frais supplémentaires. C'est moi qui suis malade, eux ont déjà leurs enfants à prendre en charge. La femme, une fois mariée, n'a plus les mêmes droits auprès de ses frères », confie-t-elle, la voix étranglée par les larmes. Très faible, elle nous raconte son combat quotidien contre la maladie. Elle est pourtant une des plus chanceuses du service maternité où elle dispose d'un lit et un matelas confortable. « Dieu merci, je suis bien ici, ça me coûte moins cher. Je me lève très tôt pour que ma carte de rendez-vous en radiothérapie soit parmi les premières. Je me programme alors de façon à revenir dans le service avant 13h, l'heure de déjeuner. Sinon je reste sans manger. » Au bord des larmes, Malika, 40 ans, maman de deux garçons, ne trouve plus sa place dans cet hôpital. Après une rechute, Malika n'arrive pas à décrocher un rendez-vous chez le médecin. Elle ne sait même pas si elle doit subir une autre intervention ou non. Personne n'est la pour lui expliquer ce qu'elle risque réellement. Elle a le sentiment de ne pas être acceptée dans le service de sénologie ou d'oncologie. La cause ? Lors de sa première intervention, elle a opté pour le privé. « Je n'ai plus d'argent. Mon mari est actuellement au chômage, et je ne sais pas où trouver les huit millions de centimes dont j'ai besoin pour une opération chez le privé », dit-elle, en fermant nerveusement les yeux, pour refouler ses larmes. Toute la journée, elle reste dans l'escalier du service dans l'espoir de convaincre l'un des infirmiers de la laisser entrer chez le médecin. Au fil des heures, lasse, elle quitte les lieux en pleurant. « Je n'ai plus le courage de me battre. Ma maladie d'une part et tous ces gens qui font la sourde oreille, d'autre part. Maintenant, je rentre chez moi en attendant des jours meilleurs », témoigne t-elle. Inhumaine Plus courageuse que Malika, Fatima, 29 ans, vient du village de Zaâmia, à Mostaganem. Chagrinée et abattue par sa maladie, elle reste clouée dans cet hôpital depuis… 2004. Elle mène un combat depuis des années juste pour continuer son traitement à l'hôpital d'Oran. Son histoire est dramatique puisqu'elle a dû choisir entre son traitement et son foyer. Sa belle-mère ne voulait plus d'elle parce qu'elle a le cancer du sein. Fatima ne répondait pas aux « normes » et finit, après plusieurs tentatives, par être renvoyée de la maison familiale. « Ma belle-mère n'acceptait pas ma maladie. Pour mon traitement, j'étais appelée à venir à plusieurs reprises à Oran. Les trajets nous coûtaient énormément cher. Ce que n'était pas du goût de cette vieille. De plus, le fait d'être absente de ma maison et de passer des nuits à l'hôpital ne l'arrangeait pas. Je devais rester chez elle pour le ménage… et autres corvées. Lorsque je suis rentrée chez moi après l'opération, elle ne me donnait pas à manger. Je faisais presque tout, seule. Même pendant ma grossesse, elle est restée de marbre. Toujours dure et inhumaine », dit-elle. En pleine instance de divorce, Malika a également perdu son nouveau-né faute de moyens pour sa prise en charge. Difficile pour elle de refouler ses larmes. « Je suis là depuis un mois. Actuellement, je suis en train de prendre des gélules accompagnées d'injections trois fois par jour. Je me suis beaucoup battue pour trouver cette place. J'ai divorcé, j'ai perdu ma fille et vendu tous mes bijoux pour assurer les frais du transport et du scanner. Je me demande s'il n'y aurait pas un moyen de nous transporter vers l'hôpital à titre gracieux. Les frais du transport et des examens médicaux nous coûtent les yeux de la tête. Ça devient intenable. » Pour une mammographie et une échographie mammaire, il faudrait payer 4100 DA, un examen demandé à chaque consultation. Pour le suivi de la malade, il faudrait également réaliser l'échographie abdominale, un téléthorax pour un total de 2400 DA. La scintigraphie osseuse, exigée une année après l'opération, est disponible également chez le privé à 5200 DA. Des frais que ces femmes ne peuvent pas assurer, témoignent-elles. Porte fermée Trouvent-elle un soutien auprès des associations d'aide aux cancéreux ? « Les représentantes viennent souvent nous voir et nous demandent de quoi nous avons besoin. Parfois, elles interviennent pour nous aider à titre symbolique pour effectuer nos examens radiologiques. Mais elles ne peuvent pas répondre à toutes nos préoccupations », répondent les femmes. Mais bizarrement, lorsque nous arrivons sur place, il n'y a plus personne pour répondre à nos questions. Il faut visiblement se lever tôt pour pouvoir rencontrer quelqu'un de l'association. Pendant notre séjour, nous n'avons pas réussi à interpeller l'un des responsables de cette association à l'hôpital d'Oran. Pas facile d'abord de trouver son siège dérobé. Puis une fois devant… personne n'est là, et la porte d'entrée est en permanence fermée. Même cri de détresse de Fatma Zohra venue de Béchar pour la radiothérapie. Elle se sent humiliée et lésée de tous ses droits. « Nous voulons des médicaments dans nos wilayas. Pourquoi privilégier une région plus qu'une autre ? Je souhaite suivre mon traitement dans ma wilaya. Il serait idéal qu'on attribue à toutes ces femmes une aide d'au moins 5000 DA », se plaint-elle. Un avis partagé par toutes les patientes que nous avons rencontrées. « Il y a des femmes qui n'osent pas demander à leur mari les frais de transport ou d'examen », raconte Houria, qui vient de rechuter. « Mon mari est payé à 17 000 DA. Vous vous rendez compte ? Comment voulez-vous qu'il paie l'IRM et le scanner que nous devons faire chez le privé ? Parfois pour ne pas trop le gêner, je demande à mes frères et à mes parents de m'aider », continue-t-elle de raconter les larmes aux yeux. Bidonville Le cas de Ghzala, 40 ans, célibataire et originaire de Mascara, souffrant d'une métastase, laisse sans voix. Comme elle n'a pas les moyens de payer régulièrement le transport entre Mascara et Oran, sa mère trouve alors une alternative. Elles installent un bidonville près d'Oran. Une solution pour se rapprocher de l'hôpital et pouvoir ainsi bénéficier de son traitement. Quand elles trouvent la force. Car certaines finissent par abandonner leur traitement en allant tester un autre, moins fatiguant : du miel mélangé à une plante, une préparation qu'elles achètent chez des charlatans et qui coûtent souvent plus de 1000 DA. Lorsque nous lui rendons visite, Ghzala était déjà installée chez son frère dans le même quartier. « Cela fait sept ans que je suis malade. Mon frère s'est senti alors obligé de construire ici à Oran pour me faire plaisir. La vie de bidonville n'est pas facile pour une personne malade nécessitant une hygiène », nous explique-t-elle. Il faut dire que même chez son frère, la vie n'est pas nettement meilleure. Elle partage la chambre avec ses neveux et nièces. « Vous voyez, nous n'avons pas assez de chambres pour lui en réserver une. Mes enfants viennent juste d'avoir la grippe saisonnière et nous ne pouvons pas protéger Ghzala », témoigne sa belle-sœur. Mère de quatre enfants, Fatma Zohra reprend la parole pour expliquer « l'inutilité des différentes campagnes de sensibilisation ». « L'Etat frappe à côté, estime-t-elle. Nous aurions aimé avoir un service d'oncologie dans notre wilaya au moins pour les contrôles périodiques. Donc, ce n'est pas de notre faute, si aujourd'hui nous encombrons les hôpitaux et les services de maternité. »