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Yennayer, comme mythe et comme réalité (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 22 - 01 - 2018

Il convient de se rappeler que dans leur énumération, les Touareg, peuple guerrier, rapportent le nom de l'année à une bataille remportée sur l'ennemi ou sur eux-mêmes, victoire du bon sens. Aussi, évitent-ils de chanter dans les tisiway les années de leurs défaites. Il faudrait alors se souvenir de l'Espagne de Tariq fils de Ziyad qui «était une conquête sans Arabes ou presque.
C'est le premier paradoxe de l'histoire musulmane»(9) nous dit Gabriel Martinez-Gros dans son Idéologie omeyyade. Larbi Boutemen précise que «12 000 hommes étaient des Berbères, il y aurait eu une quinzaine d'Arabes, des religieux pour diriger la prière».(10) Toutefois, 711, victoire de Tariq sur Rodrigue, roi wisigothe, même si c'était un grand avènement, était un événement trop récent dans la chronologie pour servir de référence au calendrier amazigh. Il resterait alors l'Egypte avec la consécration de Sheshong comme pharaon en 950 avant J.-C.
Entre les deux dates, avant et après Jésus-Christ, Ammar Negadi a donné, dans Asaγan, le lien de l'Association du peuple amazigh, des bases et des origines anciennes où la victoire des Imazighen est un exploit marquant dans l'histoire culturelle de la Méditerranée, d'autant plus que leur présence dans le delta du Nil remonte à plus de 3000 ans av. J.-C.
Quand en octobre 1981 je publiais le premier Agenda berbère – Tibbur'useggwas 1982,(11) je participais à un acte militant où il fallait restituer dans un document unique et synthétique la masse de textes que j'amassais au fil des années. Le 1er Yennayer 2932 figurait le 13 janvier 1982,(12) parce que le changement de date commence la veille, à la tombée du soleil, à l'heure du dîner. Dans toutes les composantes berbérophones, comme dans l'ensemble maghrébin, la «journée» va d'un coucher de soleil à l'autre, une conception du temps très ancienne. La Genèse divise le temps de la création en ces termes : «Il y eut un soir, il y eut un matin».
(13) A Ouargla, la journée commence à l'heure du sommeil (tin ides), quand retentit l'appel à la dernière prière, une heure et demie environ après le coucher du soleil (deffer uttu n tfewt). Les années touarègues, comme dans tout le monde berbère, sont des années solaires, allant du milieu d'un hiver au milieu de l'hiver suivant, c'est-à-dire du 1er Yennayer au 31 dujember.
Yennayer, le Nouvel An amazigh, est le jour consacré à l'origine pour célébrer la fin de l'année culturale. Il devenait depuis l'enjeu des militants en quête de symboles identitaires. D'abord célébré à Paris le 13 janvier 1982 par l'Association culturelle berbère (ACB) animée par Benbouriche, il s'est propagé comme une traînée de poudre à toute l'aire berbère. La mairie de Paris, depuis une quinzaine d'années, célèbre le Nouvel An amazigh, devenu une vitrine identitaire pour les nombreuses associations.
A Agadir, le conseil de la ville a même participé depuis 2007 à l'organisation des festivités : «C'est une première ! Aucune instance officielle ne l'avait fait jusque-là», relève avec contentement Mohamed Barchill, un animateur de Tamunt n Iffus, association de la ville du Souss marocain.
Là, le Réseau amazigh pour la citoyenneté, qui s'était vu refuser dans le passé l'agrément de disposer d'une salle publique pour fêter Yennayer, a politisé le Nouvel An amazigh, voulant voir Yennayer inscrit par l'Unesco sur la liste du patrimoine oral de l'humanité. Pour Ahmed Arrehmouch, président du Réseau, «c'est devenu une date symbole pour nous.
A ce titre, nous revendiquons que Yennayer soit décrété fête nationale chômée par le Maroc.» C'est sans doute ce qui explique la crispation des autorités chérifiennes à son égard, peu transportées à l'idée de voir, ce qui était à l'origine une fête agraire et bon enfant, transformée en cérémonie solennelle et officielle.
Des signes désignifiés, des rituels déritualisés : le mécanisme fonctionne encore comme chez tant de sépulcres vivants
C'est à première vue un rituel symbolique observé collectivement, qui s'enchâsse dans une gratuité marginale, comme on met des journaux à la disposition des voyageurs, ou les cadeaux d'entreprise. Partant de l'échange symbolique tel que le décrivait Marcel Mauss,(14) on pourrait percevoir de tout cela des résidus dans la carte de vœux qui relève plutôt de cette apparente chaîne sociale désunie que nous tentons désespérément de ressouder à travers des signes désignifiés, des rituels déritualisés.
Celle-ci pourrait faire partie des «sédiments sociaux» de tous ces rituels déposés au fil du temps par de longues relations, qui n'ont plus leur force ni leur puissance. Nous troquons désormais des représentations vides, malgré les reflets teintés de couleurs cérémoniales et la petite tonalité somptuaire de ces cartes, qui ne viennent cependant sceller aucun pacte. Quand les signes passent ainsi dans une existence seconde, au-delà de leur propre finalité, leur existence peut devenir interminable.
On peut penser aux commémorations dépourvues de rituel, aux fêtes qui ne battent plus une réelle vie collective, et ne font que remémorer le souvenir du «lien social». On peut penser à toutes les pratiques politiques, et même au système électoral : c'est une survivance maintenue à bout de bras, mais ce n'est plus un système vivant de représentation. Le mécanisme fonctionne encore, comme chez tant de sépulcres vivants.
Retour à une fierté identitaire
Le 1er Yennayer 2968, le Nouvel An amazigh devient un événement bien spécial pour l'ensemble de l'Afrique septentrionale, les populations s'étant déjà réconciliées avec leur histoire, avec le moi clandestin, quand le 18 novembre 2010, par un heureux coup de pied sur le ballon rond, les Verts marquaient à Khartoum le but qui les sélectionnait pour participer au Mondial.
On a vu le peuple, devenu enfin responsable, se prendre en charge : dans toutes les régions du pays, les Algériens ont partagé la même impulsion, le même transport, le même élan, dans un même peuple, dans une même fierté identitaire. Cette réjouissance sans trouble, cette parfaite harmonie montrent qu'à cette occasion le peuple a compris qu'il était doué pour faire des miracles.
Dans le vol Khartoum-Alger, l'amazighité n'était plus illégale, chacun célébrait sa souche berbère pour répondre aux pamphlétaires égyptiens qui qualifiaient l'Algérien de «barbare». Comme par magie, le barbare-berbère n'est plus envisagé comme langue étrangère. La Télévision algérienne va même questionner des Kabyles en kabyle, sans doublage ni traduction ni commentaire. Une communion d'idées et de sentiments gouvernait.
Par-dessus les frontières étatiques, les Tunisiens, Marocains, Libyens étaient autant concernés par ce match retour. Dans les sms qu'ils s'envoyaient, ils se disaient : «On a gagné !». A l'instar de ce tir bien ciblé et salutaire, les Amazighs, des Îles Canaries à la Libye, de la Méditerranée à la boucle du Hombori sur le fleuve Niger, invoqueront les forces de la nature pour que les récoltes soient bonnes.
A Bougie, ma deuxième patrie après Aït Yenni, je viens célébrer Yennayer, en répondant tous les ans à l'invitation de mon ami Yahia Hammouche qui recevait tout le peuple abgayti à cet occasion, autour d'un couscous généreux. J'étais là pour expliquer la philosophie, le sens et la portée symbolique de Yennayer dans la quête identitaire.
Yahia Hammouche, cet exemple de rectitude morale, de courage et d'abnégation, disparu le 8 décembre 2016, suite à un arrêt cardiaque en revenant de Toudja, son père, son épouse, son fils et ses filles ont tenu à perpétuer les nobles valeurs qu'il leur a initiées en perpétuant la noble tradition inaugurée par cet homme sensible et philanthrope qui est leur fils, leur époux et leur père.
Cette tradition, qui nous vient du fin fond de notre histoire, est maintenant devenue une journée nationale, chômée et payée au même titre que le 1er Novembre, le 19 Mars et le 5 Juillet, parce que le peuple amazigh s'est affirmé dans sa volonté politique, cultuelle et culturelle.
A Rabat, Alger, Tunis, on ouvre la porte de l'année
Dans chaque famille, le père va sacrifier un coq ou un lapin que la mère préparera en couscous. Avant de présenter le plat au dîner, dans certaines régions de l'Afrique du Nord, la mère dissimulera un noyau de datte. La tradition se souvient que la personne qui tombera dessus, Dame Fortune lui sourira toute l'année… 2968. Augurée comme ça, cette date futuriste pourrait laisser confondre la charmante famille avec des Klingons, échappés d'un épisode de Star Trek. Il n'en est rien, elle est bien de chez nous. Cette famille peut être d'Arris ou de Matmata, d'Azazga ou de Ouarzazat, de Ghardaïa ou de Ghadamès.
Elles fêtent Yennayer, le Nouvel An amazigh. «Tawwurt useggwas», la porte de l'année en Kabylie, ou «Adaf useggwas», l'entrée de l'année dans le Chenoua, ou encore «ixef useggwas», le premier de l'année dans les Aurès, est «une fête ancestrale qui, depuis des siècles, clôt la fin d'une année agricole pour ouvrir une autre», m'expliquait, il y a déjà longtemps, ma mère. Aujourd'hui, on fête une tradition immémoriale en plein cœur d'Alger, de Rabat ou de Tunis. Et tous, aussi bons musulmans ou bons chrétiens ou libres penseurs qu'ils soient, reconduisent une persistance païenne, célébrée il y a des milliers d'années par leurs ancêtres.
Le rituel de yennayer
Dans le subconscient des gens, Yennayer fait frissonner les grands récits fondateurs, avec leurs recommandations et leurs interdits, souvent pendant trois jours et parfois plus, qui traversent les générations. Les prescriptions recommandent :
• le nettoyage et le blanchiment de la maison, pour symboliser la pureté, la blancheur, la virginité, l'hyménée, le mariage, l'authenticité, la transparence, la limpidité, la franchise, l'innocence, la droiture, la loyauté ;
• la réfection du kanoun et le changement des trois pierres, inyen, servant de trépied, pour que le feu de la vie ne s'arrête pas de brûler pour recevoir et honorer les alliés et les hôte de Dieu qui viendraient à passer ;
• le renouvellement des ustensiles usagés pour favoriser l'abondance, le débordement des biens à travers les objets de cuisine ;
• le revêtement du sol (ussu i tγerγert), de la cour (afrag), de la litière de l'étable (ussu i waddaynin) avec des plantes vertes, afin que la végétation persiste ;
• le dépôt de grains de blé (irden) ou d'orge (timzin) dans le moulin domestique (tisirt), autour du foyer (lkanun), de l'ensouple inférieure (afeggag w-wadda) du métier à tisser (azetta), de la poutre maîtresse (ajgu alemmas), pour que la prospérité et la fécondité soient présentes partout ;
• le sacrifice d'un coq (ayazid), d'un chevreau (iγid) ou d'un lapin (awtul), symboles de la masculinité et de la fécondité de ces bons reproducteurs ;
• le jeûne de vingt-et-un jours, en plus du Ramadhan, pour les femmes âgées (Kabylie), pénitence de piété et de charité qu'elles s'imposent durant la période d'abstinence, afin d'accéder au ciel et à l'éternité ;
• la première coupe de cheveux du garçon qui quitte le monde asexué de l'enfance et le giron maternel pour entrer dans celui des garçons où il s'initie aux jeux virils ;
• prophylaxie corporelle par la coloration des sourcils avec la sève du genêt en combustion pour les femmes de la maisonnée : Timmi s imetti uzezzu akken ad ssihent wallen. Se dessiner les sourcils avec les “larmes” du genêt afin que les yeux puissent verser des larmes comme le genêt qui brûle, afin de s'émouvoir face aux événements et à la douleur, d'acquérir la tendresse en devenant accessible à la sensibilité, à l'affection, à la douceur, à la compassion. Alors que le cœur est l'organe amoureux, le foi, quant à lui, symbolise l'amour filial.
Conjointement à ces prescriptions, la tradition a imposé des interdits la veille et le jour de Yennayer, sous peine de damnation au supplice éternel. Ces interdits peuvent concerner tous les Imazighen ou appartenir à une tribu, un village, un clan ou simplement une famille. Ainsi, il est prohibé de :
• moudre le grain ou balayer le parterre ;
• se s'appliquer du henné ;
• se couper les ongles, se raser ;
• porter de beaux habits de fête ;
• parler la nuit du changement d'année (Anti-Atlas marocain) ;
• tisser : si l'ouvrage n'est pas achevé, on le démonte et on le remonte plusieurs jours après Yennayer. La femme fait porter au loin dans la montagne la natte non terminée et la récupère à la fin de la période (Ouest algérien) ;
• obstruer le passage de la vapeur de la marmite au couscoussier par la bande habituelle de tissu meqful, (Miliana).
• consommer du lait ou du beurre, parfois durant huit jours ;
• donner du levain ou du feu aux voisins ;
• pratiquer l'acte sexuel la nuit de Yennayer ;
Le souper de la veille, imensi n yennayer, et le repas du lendemain, imekli n yennayer, sont les deux agapes réunissant tous les membres de la famille. Les ingrédients devant composer le repas de Yennayer varient sensiblement d'une région à une autre, mais les constantes sont parfaitement repérables. Le premier soir, ce sont les beignets (lesfenğ ou lexfaf) que l'on mange à volonté, ou les légumes secs bouillis avec du couscous.
Le lendemain, jour du repas festif, on consomme le couscous aux sept légumes (sebεa ysufar) ou berkukes selon les régions. Fèves, lentilles, pois-chiches, haricots, petits pois, blé non moulu, raisins secs, amandes, noix, qui peuvent être accompagnés de navets, carottes, tomates, cœur de palmiers nains, font partie des aliments requis. Le repas doit se composer également de viande de volaille, l'idéal étant de sacrifier un coq. Chacun doit manger à satiété afin d'éviter la faim durant toute l'année. On associe à ce repas la nouvelle belle-famille et les filles mariées pour lesquelles on réserve la part.
La journée de Yennayer est la plus augurale d'entre toutes, ce qui s'accomplit ce jour-là se poursuivra tout au long de l'année. L'on essaie de tirer des présages par l'observation de toutes sortes de signes ou d'actions des hommes et des animaux. La pluie étant toujours très fortement souhaitée, on dépose sur le toit quatre petites marmites de terre contenant du gros sel, chacune représentant un des quatre premiers mois de l'année.
Le lendemain, on mesure le taux d'humidité et le degré de fonte du sel pour savoir en quel mois tombera la précieuse pluie. Parfois, c'est une boule de pâte entourée de douze tas de sel représentant les douze mois de l'année (région de Cherchell). On interroge les animaux domestiques, si ceux-ci répondent, l'année devrait se révéler prospère (Kabylie). Bien que les mascarades se déroulent surtout à la fête de Taεacur*t, on en trouve aussi au moment de Yennayer, même si celles-ci n'ont pas le même caractère spectaculaire.
Arrêtons-nous un instant sur un vocable dont le sens est parfaitement inconnu des populations qui l'utilisent. Ici ou là, il désigne le jour de l'an (plusieurs groupes amazighs du Maroc, Touaregs, Aurès), ailleurs il fait partie intégrante des expressions rituelles que le cortège des enfants chante en allant de maison en maison quêter des friandises.
Il possède de nombreuses variantes, à forme masculine ou féminine : Biannu, Bu-Ini, Tabennayut, Tabelyut, Tabernayut, Lalla Babiyanu, Tafaska n Lalla Babyannu (Ouargla). Ce nom est donné soit à la fête elle-même, soit à la vieille de janvier (tamγart n Yennayer), soit au masque du lion, ayrad (Tlemcen), soit encore aux feux de joie de la fête de Taεacur*t.
Les Touaregs de l'Aïr, au Niger, donnent le nom de Bianu à une fête de deux jours le 20 Moharram : une «fête d'amour» qui rappelle «la nuit de l'an», «la nuit de la confusion», «la nuit du bien-être», «la nuit du bonheur», connue de nombreux groupes amazighs marocains et au cours de laquelle jeunes gens et jeunes filles se rencontrent la nuit dans un lieu déterminé. On ignore tout de la nature de ce Bianu. Etait-il un personnage masculin ou féminin ?
Représentait-il une divinité androgyne ? Attachée à quelle fonction ? Bu-Ini, littéralement «celui à la pierre du foyer» aurait-il un lien avec Ccix lkanun, «le vieux du foyer», personnage imaginaire à longue barbe, de très petite taille, pas plus haut que les pierres du foyer ?
Ce «maître du feu» dont on réaménage l'espace au moment de Yennayer par la réfection totale du foyer jouerait-il un rôle en lien avec la renaissance du soleil ? De plus, malgré sa petitesse et sa vieillesse, il conserve éternellement sa verdeur sexuelle puisqu'il convoite les jeunes filles de la maison qui se méfient de lui. De manière générale, on ne marche pas sur les cendres, signe de la crainte qu'il inspire.
Une célébration officielle estampillée d'un folklore désuet
De cette tradition millénaire, de cette fête familiale où on va améliorer le menu à travers un repas communiel, imensi g-yennayer, la culture officielle échafaude en grande pompe la célébration du Nouvel An amazigh 2968. Le ministère de la Culture a établi un plan d'actions à partir du 9 janvier 2018 sur les 48 wilayas du pays où sont organisées des manifestations limitées en réalité à des approches folkloriques sans relief ni brillance, ni grandeur. Le décret présidentiel, faisant de ce patrimoine une fête nationale, ne modifie pas grand-chose à l'aspect des programmes.
Les directions départementales de la culture se focalisent en effet sur l'habillage de l'événement avec des expositions de costumes traditionnels, d'art culinaire, d'artisanat, de tbabla-s et autres joueurs de zorna, accompagnés de danses où on remue à l'excès les hanches, etc. Quelquefois, on prévoit de projections de films. A Alger, la salle Ibn Khaldoun a accueilli Rabah Asma, star des années 1980-1990, tandis que l'Opéra abritait une série de spectacles folkloriques avec le ballet de la wilaya d'Alger, les tbabla-s de Bouira, les rehaba-s de Batna, les ensembles ahellil de Timimoun et Sidi Djaber de Ghardaïa.
Si d'un côté on reconnaît Yennayer en tant que fête nationale, chômée et payée, fête de partage et en communion dans la même foi, d'un autre côté, l'Etat affirme sa présence dans le Nouvel An amazigh en récupérant et folklorisant cet événement par des manifestations réduites à un pittoresque superficiel et périmé.


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