Cette année, la célébration de Yennayer se présente sous un signe particulier. C'est d'abord la consécration d'un long combat et d'une revendication sans cesse exprimée : sa reconnaissance comme fête légale. Depuis dimanche, la wilaya de Tizi Ouzou célèbre cette fête avec un riche programme sous le thème «2018 : année de la célébration du patrimoine amazigh» avec cette citation de l'illustre anthropologue, écrivain et père de la grammaire berbère, Mouloud Mammeri qui accompagne le slogan «Quand je travaille à la berbérité, c'est à l'algérianité que je travaille». Yennayer, c'est une date, un repère national, une histoire millénaire qui a résisté à l'envahisseur, aux tentatives de l'enterre, de l'effacer en lui jetant l'anathème. Yennayer est une date commune à tous les Algériens. Cet évènement est d'ailleurs fêté partout par les Ichawiyen dans les Aurès et emprunte l'appellation arabisée de ce jour Ass n Ferâaoun (le jour du Pharaon) à la mémoire de la mort du Pharaon tombé dans la mer. L'usage de ce calendrier permet, ainsi, aux Imazighen de passer du temps cyclique de la tradition et du vécu à un temps linéaire, historique. Depuis les temps immémoriaux, Yennayer demeure la seule fête non religieuse commune à tous les Algériens. Cette date phare, date symbole chargée d'histoire, date qui, correspondant au 12 janvier du calendrier grégorien, Yennayer signifie le premier jour de l'An «ixef useggwas» dit également « Tiwura useggas ». yennayer, c'est ce jour, où «Ad feghen iberkanen, ad kecmen imellalen» (les journées noires sortent, et les journées blanches rentrent), selon un adage kabyle, signifiant ainsi la séparation entre deux cycles solaires, passage des journées courtes, «noires» aux journées longues, «blanches ». Etymologiquement parlant, le mot Yennayer, d'origine berbère, se compose de deux mots, Yen et Ayyar. Yen signifie le chiffre un (01) et Ayyur signifie la lune, et le tout donne première lune ou premier mois. Historiquement, cette date qui est le début du calendrier amazigh, remonte aux premières manifestations connues de la civilisation amazighe, au temps de l'Egypte ancienne. En effet, selon certains historiens, au temps de la XIXe dynastie, sous le règne en particulier de Ménoptah, vers 1232-1224 av. J.C., les Pharaons repoussèrent une attaque des Libyens (amazighs) auxquels s'étaient associés les «peuples de la mer». La ténacité des Amazighs finit par venir à bout de la résistance égyptienne, puisqu'en 950 av. J.-C., le roi amazigh Chechnaq 1er s'empara du Delta du Nil et fonda la XXIIe dynastie libyenne-berbère. On dit que depuis, les Amazighs ont fixé leur propre jalon historique, et l'année 950 av. J.-C. Lorsque le roi libyen Chechnaq 1er, envahit par la suite la Palestine, il réunifia l'Egypte. À Jérusalem, il s'empara de l'or et des trésors du temple de Salomon, ce grand évènement est même cité dans l'ancien testament. Une date chargée de symboles Au-delà du fait historique, Yennayer, cette fête ancestrale, revêt également une valeur-symbole profondément ancrée dans la mémoire collective bonifiée par un écheveau de mythes, de légendes et d'histoires qui s'entremêlent et que sociologues et historiens n'ont pas fini de démêler. Des légendes se sont tissées autour de Yennayer et des contes y sont nés. La plus répandue en Kabylie est sans doute celle de la vieille femme que «Yennayer» a punie pour l'avoir défié. La légende dit que lors d'une journée ensoleillée à la fin de Yennayer, une vieille femme (Tamghart) s'est moquée de Yennayer en lui disant : «Yennayer mon ami, tu nous a quittés sans faire aucun mal». Yennayer, furieux, demanda à Fourar (février), premier mois du printemps, de lui prêter un jour et une nuit pour se venger. Il dit alors à Fourar : «Je t'en prie, Fourar (février) mon ami, Prête-moi un jour et une nuit pour que je châtie la vieille insolente qui m'a humilié». Fourar lui prêta, alors, une journée. Aussitôt le ciel se couvrit de nuages, tonnerre et éclairs éclatèrent, puis la grêle et la neige se mirent à tomber. Alors la vieille, qui était restée dehors avec ses chèvres en train de baratter le lait dans sa cruche au clair de lune, fut transie de froid et mourut. C'est ainsi que l'on expliqua le fait que le mois de février a un jour de moins que les autres mois, celui-là même qu'il a prêté à Yennayer. Repas de Yennayer : richesse et diversité L'autre particularité de ce jour de fête, de joie et de pardon, c'est son repas. Ce jour festif est symbolisé par son couscous à l'huile d'olive de l'année, le coq fermier et le haricot kabyle (dolique, banette ou cornille). «A Nnayer, on préfère immoler un coq fermier (ayazid n t murt) que d'acheter de la viande de bœuf du marché. C'est ainsi que le proverbe kabyle dit : Win yezlan a rrich, d emnghas lâaich (Celui qui égorge un coq, je lui garantis sa subsistance). En ce jour, on évoque aussi, dans certaines régions, l'être cher disparu. Le dîner de la veille et celui du lendemain de Yennayer sont les deux agapes réunissant tous les membres de la famille autour d'une même table sur laquelle est posée la cuillère de l'absent ou du génie gardien de la maison. On y prépare donc du couscous au poulet, au coq fermier et haricots kabyles rehaussés de la viande séchée qui embaume les narines. Le sacrifice du coq symbolise la protection de la famille du mauvais sort durant toute la nouvelle année. Le coq est aussi le symbole de la fertilité et de la lumière, puisque c'est lui qui annonce le lever du jour et appelle à accomplir la prière de l'aube. Les œufs de la poule incarnent la fécondité qui symbolise l'abondance des vivres pour toute l'année. Le coq est souvent immolé comme holocauste (asfel), une sorte de sacrifice et d'offrande pour espérer la guérison des démoniaques et des possédés. parmi les autres mets de Yennayer, on trouve aussi les beignets (sfendj), les céréales sèches bouillies (uftiyen), le couscous aux sept légumes, le couscous au coq et haricots kabyles, berkukès, seksu n tassilt ; les crêpes traditionnelles appelées aussi les mille-trous (tirifin), etc. Le repas de Yennayer représente aussi un rite de sacrifice propitiatoire, destiné à expulser les forces maléfiques (asfel). Certaines régions se singularisent par leurs mets Dans la région de Tizi Rached, le couscous de ce jour comporte 7 ingrédients comme le veut la tradition. Il est composé de blé, d'orge, de petits pois, de haricots, de fèves, de pois chiches et de lentilles, en plus de la viande bovine salée et séchée, additionné uniquement de sel et de coriandre sèche. A Mekla, il est préparé à base de choux vert, de carottes, de navets, de haricots secs, de lentilles, de poulet et viande ovine salée et séchée