Après Ath Yani, paroles d'argent, un documentaire qui retrace l'histoire de la tribu d'Ath Yani, et Le plateau de la pluie, un court métrage de 13 minutes, coréalisé avec Yazid Arab, qui traite du rite annuel de la transhumance au village de Tala N'tazart au pied du Djurdjura, notre confrère renoue avec la réalisation, en France, cette fois-ci. Dans sa nouvelle œuvre cinématographique, très documentée, il raconte l'histoire de l'immigration algérienne, et principalement kabyle, puisque celle-ci a toujours été numériquement majoritaire en France, à travers les cafés, qui sont ainsi le «personnage principal de ce film», pour reprendre son expression. Il tient, d'ailleurs, à préciser qu'il ne s'agit pas de «bistrots français», mais bien de cafés typiquement algériens, qui ont fleuri partout en France, particulièrement dans la région parisienne, depuis la toute première décennie du XXe siècle. Justement, comme l'explique l'un des témoins s'exprimant dans le film, le bistrot français et le café algérien étaient pendant très longtemps deux mondes qui se côtoyaient sans forcément se connaître. Le premier était toujours un lieu de loisir par excellence, tandis que le second s'est vu attribuer par nos premiers immigrés des missions sociales, culturelles et politiques. Cela est évidemment un peu moins vrai de nos jours. Et pour cause, les cafés algériens en France ont été modernisés au fil des années et ont vu leur alignement sur le modèle occidental de bar-restaurant s'accélérer à la fin des années quatre-vingt-dix. Ces lieux mythiques, du moins aux yeux des générations de nos parents et grands-parents immigrés, ont vu leurs rôles d'antan s'estomper petit à petit sous les effets des évolutions historique et sociologique qu'a connues l'immigration algérienne. C'est donc cette part de notre histoire, négligée par le roman national, que Metref avait l'ambition de restituer à sa manière. Pour ce faire, le documentaire, dont le titre comporte un jeu de mots qui fait penser subtilement à l'Algérie, a été tourné entièrement au café «Le Soleil» que tenaient Saïd Benali et son frère Amrane, au quartier Belleville-Ménilmontant (est de Paris). D'ailleurs, selon le réalisateur, il est malheureusement fermé depuis quelques mois. Devant la caméra défilent des témoins dont les profils sont différents (ouvriers, commerçants, anciens militants du FLN-ALN, artistes, écrivains, etc.), bien que la plus grande partie du temps de parole soit consacrée aux analyses d'intellectuels engagés (Hend Sadi, Ben Mohamed, Akli D., etc.) et à la mise en contexte historique faite par des historiens spécialistes de l'Algérie (Mohamed Harbi, Omar Carlier et Benjamin Stora). Parmi tous ces témoignages, il y a celui très remarquable de l'écrivain Nourredine Saâdi, qui nous a quittés le mois dernier. A partir de ce panel d'interventions assez prestigieuses, sont dessinées les diverses époques de l'immigration algérienne selon les rôles joués, ou du moins attribués aux cafés. On y apprend que l'une des premières missions «confiées» à ce genre de lieux était plutôt sociale, c'est-à-dire la création d'un environnement de substitution au village d'origine : solidarité «communautaire», contrôle social délocalisé en remplacement de la «juridiction» du comité de village, différents jeux populaires (dominos, ronda espagnole, loto, etc.), art culinaire (couscous, haricots blancs ou «loubia», thé, etc.). Ensuite, les cafés algériens étaient de tout temps de hauts lieux de culture : rencontres littéraires, expositions de peintures, galas artistiques, etc. Enfin, et surtout, depuis les années 1920 jusqu'aux années 1990, ces mêmes cafés ont été des terrains de batailles syndicalistes et/ou politiques. De l'Etoile nord-africaine (ENA) jusqu'à la lutte contre le terrorisme islamiste, en passant par la guerre de Libération nationale et le Mouvement culturel berbère, les «bistrots» algériens dans l'Hexagone étaient des endroits où pouvaient se confronter des idées et parfois des «muscles». En plus des expéditions punitives qu'orchestrait l'Amicale des Algériens en Europe contre les militants de la cause amazighe, notamment ceux membres de l'Académie berbère créée en 1966, le conflit le plus sanglant qui a marqué en «rouge» l'histoire centenaire de ces espaces, censés être de convivialité et de fraternité, était sans doute la guerre entre le Front de libération nationale (FLN) et le Mouvement national algérien (MNA). Cet affrontement fratricide, dit «guerre des cafés», a fait près de 4000 morts, selon les estimations des historiens.