Les statistiques, non officielles, ne sont pas exhaustives. Selon certaines, ils seraient 65 000 personnes, essentiellement des enfants, atteintes d'autisme. Le monde a commémoré, vendredi 2 avril, la troisième journée mondiale de sensibilisation à l'autisme dans la mobilisation autour de ce que les spécialistes considèrent aujourd'hui comme une « crise mondiale en expansion ». En Algérie, on n'en est pas encore là, mais cette journée mondiale retrouve des parents de personnes atteintes d'autisme, des enfants pour leur majorité, désemparés. Ils se battent encore pour que leur progéniture ait une meilleure vie et que l'autisme puisse être admis par la société comme trouble neurocomportemental et non comme un cas de déficience mentale. Un énorme chantier de sensibilisation est à ouvrir. En parcourant, en 2009, un article d'El Watan, Fayçal a eu comme un tilt. C'est d'autisme que son fils est donc atteint. Le professeur Ould Taleb, chef de service de la clinique de pédopsychiatrie de Kouba, le lui confirmera lorsqu'il auscultera l'enfant. « L'article d'El Watan a joué un rôle dans la prise de conscience. Avant cela, je ne connaissais pas ce qu'était l'autisme. Je pensais avoir affaire à un simple retard dans le langage, rattrapable par le temps ; ou simplement un caractère comme un autre, corrigeable du reste », nous dit Fayçal. Son témoignage permet de croire qu'il y a bien des enfants autistes à découvrir dans les recoins de l'Algérie. tout simplement « cachés » par la force du tabou. Aucune opération de dépistage n'a eu lieu dans le pays. Les statistiques, non officielles, ne sont pas exhaustives. Selon certaines, ils seraient 65 000 personnes, essentiellement des enfants, atteintes d'autisme. 40 000, selon le professeur Ould Taleb. Moins que chez nos voisins marocains, par exemple, mais c'est autant de parents qui se sentent perdus. L'enfant de Fayçal avait 3 ans lorsque son autisme avait été confirmé. Depuis, il est pris en charge. Mais les spécialistes vous le diront, les meilleurs résultats sont ceux que permet une prise en charge dès l'âge de 2 ans. Fayçal, comme tous les autres parents qui sont dans son cas, n'en demandait pas moins. Son fils a eu bien des visites médicales chez son pédiatre. Mais aucune n'a permis le moindre soupçon de troubles autistiques. C'est pourtant pendant les trois premières années de la vie de l'enfant que l'on peut détecter les symptômes de l'autisme. Ils se manifestent par un repli sur soi-même. L'enfant vit dans un monde fermé, en rupture presque totale avec son entourage à qui il est indifférent. Il peut avoir des comportements répétitifs ou des activités stéréotypées comme, par exemple, se balancer le corps ou agiter les mains. Pour leur prise en charge, les autistes de l'est algérien ont une seule adresse : la clinique de pédopsychiatrie de Kouba sous le suivi du professeur Ould Taleb. Le suivi doit se faire quotidiennement et avec une équipe pluridisciplinaire. Mais les pouvoirs publics n'offrent pas, pour le moment, tous les moyens pour une meilleure prise en charge des autistes algériens. Les méthodes comportementales appliquées ailleurs, dont l'ABA, leur donnent de l'espoir de par leur efficacité prouvée. Mais aussi du regret en raison de leur inaccessibilité. Les interventions précoces et intensives par l'analyse appliquée du comportement (ABA) ont permis de casser les frontières fermées de l'autisme. En France, 70% des enfants autistes ont réussi à en sortir, rapportent des scientifiques. « Il y a un travail quotidien à accomplir. A défaut de le faire avec une équipe pluridisciplinaire, nous le faisons à domicile par des exercices de stabilité, d'imitation et de perception », nous explique Fayçal. Un travail qui doit être plutôt complémentaire à celui d'une équipe pluridisciplinaire que doivent composer des psychologues, orthophonistes, psychothérapeutes, psychomotriciens, éducateurs spécialisés… Il s'agit de développer l'autonomie de l'autiste, son langage, sa motricité… Décentraliser les structures spécialisées, créer des centres d'accueil pluridisciplinaires et pallier le grand manque de psychothérapeutes et de pédopsychiatres sont des besoins réels et des revendications d'actualité des parents d'autistes qui trouvent urgent de s'organiser en associations. C'est ce que s'affairent à mettre en place Fayçal et ses compagnons à Béjaïa (pour les contacter : 0554.55.74.17, naï[email protected]). D'autres ont tenté, avant cela, de le faire. L'idée a mûri entre lui et son collègue de travail. Fayçal et Moussa ont été binômes lorsqu'ils étaient étudiants, ils se retrouvent enseignants à la même université aujourd'hui et, caprice du hasard, sont tout deux parents d'autistes. Se joignent à eux d'autres parents dans la perspective de se structurer. Bien qu'il n'existe pas de statistiques renseignant sur le nombre d'autistes, ils pourraient bien être nombreux dans la wilaya. Ce que l'on sait, c'est que le recensement général de la population (RGPH) de 1998 a classé Béjaïa deuxième wilaya, après Tizi Ouzou, à haute prévalence concernant le taux d'incapacité mentale. Pour l'autisme, l'hôpital psychiatrique Frantz Fanon de la ville de Béjaïa, où officie la seule pédopsychiatre de la wilaya, ne dispose pas de chiffres. L'association des parents d'autistes, en voie de création, pourrait aider à les avoir dans l'avenir. Pour le moment, le petit noyau prend sur lui la revendication de créer un centre pour autistes à Béjaïa. Le problème a été posé, de par le passé, à la direction de l'action sociale et un projet a été même évoqué. On l'attendait vainement au niveau de l'ancien siège de la DAS. L'espoir est aujourd'hui reporté sur le projet de l'hôpital psychiatrique de 120 lits programmé à Oued Ghir, à la périphérie de la commune de Béjaïa. « Un service de pédopsychiatrie y est prévu et le projet est finalisé », nous apprend Dr Hamici, de la DSP. Au-delà des structures, il se pose un sérieux problème de spécialistes qu'il faudra former. Et d'ici là, des milliers d'autistes continueront à vivre dans leur monde fermé, à l'extérieur duquel leurs parents déploient des trésors d'efforts pour tenter d'y accéder et les faire ressortir pour tenter de leur offrir une vie épanouie. L'espoir est permis.