Cette maladie, peu connue du grand public, nécessite de la part des parents d'enfants autistes un courage, une détermination à toute épreuve... et une prise en charge spécialisée. Ce qui est loin d'être le cas dans notre pays. Histoire d'un calvaire. Samir a trois ans. C'est un enfant bien constitué, au visage régulier, mais son comportement est bizarre. Il semble indifférent à ce qui l'entoure et ne regarde jamais en face. L'enfant a du mal à établir des contacts avec les autres gamins ; il est renfermé sur lui-même et préfère s'isoler. On croirait qu'il est dans un monde à part : son monde. Samir a également des troubles du langage et supporte très mal les changements à la maison. Ses proches reconnaissent qu'il est difficile de l'intéresser à quoi que ce soit, que l'enfant jette encore les livres d'images et les Lego qu'on lui tend. Pourtant, Samir a changé un peu d'attitude ces derniers mois, de l'avis même de ses parents : il est plus proche de son frère aîné et il lui arrive à présent de se diriger vers sa maman et de l'embrasser. Le petit Samir est autiste, il souffre d'un trouble de la personnalité. Depuis presque une année, l'enfant est suivi à la fois à l'hôpital de Bouchaoui, pour “apprendre à être autonome”, et au centre de guidance parentale Mahfoud-Boucebci de Dély-Ibrahim, qui est rattaché à l'hôpital de Chéraga, bénéficiant ainsi de l'attention d'une pédopsychiatre, des psychologues, des éducatrices et de l'orthophoniste. “Samir a évolué en peu de temps, parce qu'il a été pris en charge très jeune. Le plus dur est pour les enfants autistes qu'on nous ramène à l'âge de 9 ans ou plus”, révèle la pédopsychiatre du centre, le Dr Oussedik Asma. Une vie de famille perturbée La maladie de Samir n'a pas été détectée par ses médecins traitants, malgré l'inquiétude des parents. Elle a été diagnostiquée par hasard en France : né avec une cardiopathie, l'enfant a été opéré du cœur l'année dernière et approché par d'autres spécialistes. C'est donc à l'âge de deux ans que les parents de Samir ont appris que leur enfant souffrait d'autisme. “Quand on a un enfant malade, c'est toujours difficile d'accepter cet état. On arrive quand même par l'admettre. Mais, apprendre qu'il n'y a ni école ni centre spécialisé pour lui, qu'il n'existe pas de solution pour lui dans un avenir proche est vraiment déprimant”, avoue Yasmina, la mère de Samir, en déplorant “l'absence de l'Etat”. La jeune femme, à la fois préoccupée et absorbée par Samir, a été dépassée par la situation. “Ma fille a 11 ans, elle ne me pose pas de problème. Mais, Walid, qui a maintenant 8 ans, voulait rester bébé pour qu'on s'occupe de lui comme son petit frère. Il a des problèmes dans ses études”, explique-t-elle en signalant que Walid fréquente l'orthophoniste deux fois par semaine, au même centre que Samir. On l'aura compris : l'état de Samir a créé et continue de causer bien des soucis à sa famille. Outre le retard scolaire de Walid, ce dernier, encouragé par sa sœur, se pose de nombreuses questions du style “pourquoi Samir ne parle pas ?” ou encore “pourquoi il est différent des autres enfants ?” La maman, entièrement accaparée par ses responsabilités à la maison et consciente que le handicap de son fils risque de le priver d'une scolarité et d'une insertion sociale, a fini par craquer. “Depuis ma dépression, je suis suivie par un psychiatre”, dit-elle, avant d'ajouter d'une voix émue : “Je suis frustrée en tant que maman. Je suis même déprimée… La vie de famille est perturbée. Mon mari et moi avons envisagé à un moment de partir à l'étranger, en voyant le peu de moyens qui sont mis à la disposition des autistes. Mais, la scolarité de Lila et de Walid, et d'autres problèmes nous ont en finalement dissuadés… Quelque part, nous avons sacrifié Samir…” En Algérie, l'autisme est très mal connu, y compris dans le milieu médical. Les chiffres montrent que pour 10 000 naissances dans le monde, il existe entre 2 à 5 cas d'autisme, touchant plus souvent les garçons que les filles, dans une proportion de quatre à cinq hommes pour une femme. En France, le taux de prévalence officiel est évalué à environ 4,9 enfants sur 10 000 naissances, ce qui représente une population d'autistes de 30 000 personnes. Aux états-Unis et en Grande-Bretagne, ce taux peut aller jusqu'à 60 pour 10 000. La grande solitude des parents Le syndrome autistique est défini par les professionnels comme un “trouble envahissant du développement”, qui apparaît avant 3 ans. Il bloque l'évolution normale des fonctions intellectuelles, émotionnelles, sensorielles et motrices liées au développement du jeune enfant. Il se manifeste à travers des perturbations. Des mères confient que leur bébé était calme, mais restait indifférent aux câlins. Une fois plus âgé, l'enfant ne manifeste aucun intérêt pour les jouets. À longueur de journée, il ne fait qu'éviter les regards des autres, s'isoler dans son coin et s'agiter en tournant, en agitant les mains et en faisant des gestes répétitifs. Ni aveugle ni sourd, l'enfant a pourtant un langage perturbé. Des parents révèlent que souvent leur enfant ne connaît même pas son nom, qu'il ne parle pas, ne mange pas tout seul et porte toujours des couches. Certains sont conscients que le temps joue contre l'autiste qui doit apprendre les notions d'autonomie avant l'âge de 5 ans. Les pédopsychiatres préviennent qu'il y a plusieurs formes d'autisme, du plus léger au plus profond. Ils n'excluent pas néanmoins l'existence de personnes autistes possédant une intelligence supérieure à la moyenne. L'autisme n'est pas guérissable, mais le diagnostic précoce, insistent encore les spécialistes, pourra réduire le handicap grâce à un accompagnement éducatif, pédagogique et thérapeutique adapté. Quel est le nombre exact des autistes dans notre pays ? Difficile d'y répondre avec un outil statistique défaillant. Mais, d'autres facteurs sont à prendre en compte. Souvent l'ignorance et l'inexpérience des médecins, des pédiatres, sollicités par les familles, sont à l'origine d'un dépistage tardif de l'autise ou d'une négligence qui coûtera très cher à l'enfant. Il arrive, par ailleurs, que des familles classent l'autisme dans le registre des tabous et tentent même de dissimuler l'âge réel du gosse. Quand les parents sont prévenus du problème de l'enfant, ils désespèrent vite devant la dégradation de nos hôpitaux et le peu d'intérêt accordé à la santé mentale, en particulier au trouble envahissant du développement. Pis, ils sont souvent dans l'incapacité, économiquement, d'entreprendre une quelconque initiative à l'étranger pour sauver leur jeune enfant. Résultat : les parents se sentent abandonnés et incompris. La pédopsychiatre du centre de Dély-Ibrahim ne craint pas de parler de “désarroi” et de “solitude” des parents. “Des parents se sentent seuls et isolés. Il faut les aider, leur expliquer de quoi souffre leur enfant et comment se comporter avec lui. Il faut les rencontrer et les faire parler de leurs souffrances. Il faut aussi leur donner des alternatives d'avenir”, indique Mme Oussedik. Dans le domaine du handicap, les parents doivent s'organiser en associations, comme cela se passe ailleurs, pour défendre les droits des personnes autistes et leur famille, et les aider à améliorer leur qualité de vie. De plus comme l'écrivait si bien le Pr Mahfoud Boucebci, “les parents sont craints, mais pas les spécialistes ou les éducateurs” ! De l'avis de Mme Oussedik, la vie associative pourrait apporter des solutions aux problématiques locales particulières comme, notamment, la création d'une classe d'enseignement adapté, une garderie d'enfants, des aides spécifiques, y compris aux parents. “L'évolution de l'enfant, soutenue par une vie associative, va guider les projets destinés aux autistes : école, insertion sociale, etc.”, promet-elle. Un hôpital pour enfants en 2006 En Algérie, quatre hôpitaux accueillent les enfants autistes pendant la journée : deux (Chéraga et Drid-Hocine) à Alger, un à Blida et un autre à Annaba. À ceux-là viendrait s'ajouter l'hôpital psychiatrique de Constantine qui, dit-on, commence à s'intéresser à l'autisme. Les enfants souffrant de troubles autistes sont également orientés vers les centres médico-psychologiques (CMP) et, par manque de moyens, sont mêlés à d'autres enfants malades, à d'autres pathologies. Cette situation résulte de l'absence d'institutions spécifiques pour les personnes autistes, dotées d'équipes multidisciplinaires qui toucheraient aux différentes “difficultés” de l'enfant. “Même si on ne dispose pas encore de ce type de structures, nous pouvons faire de la guidance parentale, afin d'inquiéter les parents pour qu'ils fassent quelque chose, qu'ils s'impliquent”, signale le Dr Oussedik. La pédopsychiatre convient toutefois que la bataille doit être menée à tous les niveaux, en affirmant plus loin : “Le diagnostic précoce se fait à partir de 6 ou 7 ans, car personne n'est formé pour faire ce diagnostic et parce qu'il n'y a pas de structures d'enfants autistes en Algérie.” Mme Asma Oussedik est à la tête de l'association Ruche, créée en 2000. L'association rassemble actuellement une vingtaine d'adhérents. Elle a pour objectif de venir en aide aux enfants autistes et à leurs parents en détresse, mais également aux professionnels. “L'hôpital a des limites et nos moyens sont insuffisants. Nous avons pensé qu'il valait mieux nous entraider : parents, professionnels et Etat”, déclare la présidente de Ruche, non sans reconnaître le travail pénible avec les autistes. “Travailler avec un autiste est déprimant pour le personnel, car il faut du temps pour que l'enfant réagisse enfin”, soutient-elle. Pragmatique, Mme Oussedik ne baisse pas les bras. “La prise en charge est coûteuse, elle est individuelle et adaptée aux besoins de l'enfant. Mais, si nous prenons en charge un enfant autiste très tôt, si les parents s'impliquent dans cette prise en charge, nous avons de meilleures chances d'adapter l'enfant à la société”, dit-elle. La spécialiste nous annonce plus tard la construction en 2006 d'un hôpital pour enfants à Chéraga, l'ancien établissement de santé sera destiné le jour aux adolescents, précise-t-elle. Cette expérience-pilote se multipliera-t-elle dans la capitale et les autres régions du pays ? Annonce-t-elle une plus grande attention du gouvernement à la pathologie du développement ? Il faut l'espérer, parce que les troubles d'autisme sont souvent rejetés par une population mal informée, capable de réagir durement devant un handicap inconnu. Il faut l'espérer, car les jeunes autistes sont aujourd'hui doublement pénalisés : l'Etat ne leur garantit ni projet d'intégration scolaire ni foyer d'accueil. Pour la plupart d'entre eux, le seul recours reste encore l'hôpital psychiatrique. Devenus adultes, ils se retrouvent généralement dans des structures non adaptées où ils régressent. Une personne autiste est-elle un être humain ? A-t-elle le droit à la vie et à la différence ? Telles sont les questions de fond qui interpellent à la fois l'Etat, les professionnels et la société. Kanner, Asperger et les TED En 1943, Leo Kanner, psychiatre américain, attribue la présence de l'autisme essentiellement à l'attitude et à la qualité des contacts des parents envers leurs enfants. Mais, il n'exclut pas la possibilité que certains éléments caractériels des parents aient pu passer, de façon héréditaire, chez les enfants. Un an plus tard, Hans Asperger, médecin autrichien, publie une description “une psychopathologie autistique”. Kanner et Asperger considèrent l'autisme comme une psychopathologie, mais ils ne l'associent nullement à la schizophrénie. Dans les années qui vont suivre, des théories seront développées, comme celle de la “mère-réfrigérateur” de Bruno Bettelheim et celle de la “schizophrénie infantile” de l'association psychiatrique américaine. C'est à partir des années 60 que les interrogations autour des causes de l'autisme vont s'imposer. Il faudra pourtant attendre l'année 1980 pour assister au classement de l'autisme parmi les “troubles envahissants du développement” (TED), un groupe de troubles précoces, caractérisés par des retards et des déformations du développement des habiletés sociales, cognitives et du développement de la communication. H. A.