Derrière son bureau, le Professeur Mahmoud Ould Taleb s'affaire à consulter le dossier d'un patient qu'il s'apprête à recevoir. Il est 13h en cette journée de lundi. Pas de répit ! Le professeur semble débordé. La file d'attente est encore longue. Mais cela ne le décourage pas. Dévoué à son travail qu'il affectionne depuis une dizaine d'années, il poursuit la consultation jusqu'à ce que tout le monde passe. Sa devise est de ne jamais renvoyer un malade. « Vous imaginez la détresse d'une maman qui a un enfant autiste. Vous imaginez ce qu'elle vit quotidiennement, ce dont elle souffre… La recevoir, c'est la soulager un tant soit peu. » A son grand dam, les places pour les malades sont limitées. Le docteur ne peut pas, pour ainsi dire, prendre en charge tous les malades qu'il reçoit. « Il y a quelques jours, j'ai reçu un couple venu de Touggourt dont l'enfant souffre de cette maladie. Je ne savais pas quoi leur dire ! Leur enfant nécessite des soins à l'hôpital. Mais je le mets où ? Mon service est saturé. Il n'y a plus de place », lâche-t-il avec désolation avant d'affirmer qu'il a plus de 300 malades qui sont sur la liste d'attente. « Comment puis-je faire face à cette situation ? Je renvoie ces malades chez-eux ! J'écourte le séjour des malades admis dans mon service ! Je suis dans un véritable dilemme », souligne le professeur, avant de poursuivre : « Vous savez, l'attente dure des années, parce que la durée minimale des soins est de trois ans. Nous ne pouvons pas faire sortir quelqu'un avant. Sinon, ce serait comme s'il n'a jamais été soigné. » Pour faire face à cette situation, le Professeur Ould Taleb milite depuis des années pour la construction « en urgence » d'un hôpital de pédopsychiatrie d'une capacité de 3000 places. Mais il n'a eu que des promesses sans lendemain. Le service de pédopsychiatrie qu'il dirige actuellement dispose de 60 places. Et il est considéré comme le plus grand du pays. Ce service rattaché à l'hôpital Drid Hocine est logé provisoirement dans une infrastructure modeste à Garidi II qui appartient au secteur sanitaire de Kouba. Il fonctionne avec une trentaine d'employés, dont seulement 13 psychologues sont permanents. Deux autres services existent. L'un se trouve au niveau de l'hôpital de Chéraga et l'autre à l'hôpital de Blida. Leur capacité globale est de 90 places. En tout, l'Algérie dispose de 150 places pour la prise en charge d'une maladie qui touche, selon les dernières statistiques officielles, près de 40 000 personnes, entre enfants, adolescents et adultes. Ce déficit énorme en infrastructures représente un retard de 50 ans, indique le professeur Ould Taleb et rend presque impossible la prise en charge des autistes, qui sont dans leur grande majorité parqués chez-eux, abandonnés à leur sort, dans l'indifférence totale des autorités. « La pire maltraitance que l'on peut faire à une personne autiste est de ne pas l'éduquer et de la laisser croupir dans son autisme », disait Stanislas Tomkiewicz, pédopsychiatre et psychothérapeute français décédé en 2003 des suites d'une maladie. En Algérie, on est donc à ce stade de la maltraitance. Le professeur Ould Taleb tire la sonnette d'alarme. « Il y a quelques années, on nous évoquait le problème d'argent. Maintenant, l'argent ne manque pas. Qu'est-ce qu'on attend donc pour construire des hôpitaux et des centres médico-psychiatriques ? », se demande-t-il, rappelant les différentes demandes effectuées auprès du ministère de la Santé. Il indique également que le ministère de la Solidarité s'est engagé, il y a près de dix ans, à financer la construction d'un centre médico-psychiatrique. Bien qu'insuffisant, le projet n'a toujours pas vu le jour. La situation va de pire en pis, prévient-t-il. Il parle de la nécessité d'un plan national de prise en charge de la santé mentale des Algériens. Car rien n'est fait en la matière. Il n'y a ni suffisamment d'infrastructures ni assez de spécialistes en pédopsychiatrie. Pour étayer ses propos, il cite le chiffre de 18 pédopsychiatres qui existent en Algérie et qui ont été formés en 2007 avec l'aide de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Or, explique-t-il, la prise en charge des autistes nécessite beaucoup de moyens humains. « C'est un travail qui use et qui demande de la patience. On ne peut pas donc confier à une personne plusieurs malades à la fois », précise-t-il. Il faudrait ainsi former des équipes multidisciplinaires, dont des pédopsychiatres, des orthophonistes, des éducateurs, des psychomotriciens, des psychocliniciens… pour toute infrastructure future. En France, souligne-t-il, il y a 11 740 psychiatres et 1295 pédopsychiatres. En matière d'infrastructures, il y a 400 centres médico-psychiatriques pour 80 000 personnes atteintes d'autisme. Cela sans compter les hôpitaux spécialisés en la matière. « Même avec tous les moyens existants, le président Sarkozy a prévu la construction de 4200 places de plus pour les enfants autistes », fait remarquer le professeur. Aussi, il relève le manque des familles des malades en moyens financiers, ce qui complique davantage la prise en charge et le suivi du malade. Actuellement, l'Etat verse une pension de 4000 DA pour chaque autiste dont l'âge est de 18 ans ou plus. Le professeur plaide pour une pension égale au salaire minimum national garanti, qui est actuellement de 12 000 DA. Laquelle pension sera versée aux familles du malade dès l'âge de 3 ans. « La maladie est reconnue dès l'âge de 18 mois, mais elle ne peut être affirmée avec certitude qu'à l'âge de 3 ans. Une fois la maladie confirmée, il faudra verser la pension pour que la famille de l'enfant puisse lui assurer les soins nécessaires », explique-t-il, précisant que les soins deviennent presque impossibles à partir de l'âge de 16 ans. Autrement dit, l'autisme nécessite une prise en charge « institutionnelle » précoce et à long terme. Le professeur poursuit son constat critique, regrettant l'absence en Algérie de plan pour la santé mentale infanto-juvénile. Cela est, à ses yeux, « inconcevable » d'autant plus que 70% de la population algérienne sont des jeunes. Un tel plan est, pour lui, indispensable dans le sens où cela permettra de définir les besoins en la matière et de dégager les moyens humains et financiers nécessaires pour combler l'énorme retard et se préparer pour l'avenir. Outre l'autisme, le professeur Ould Taleb veut qu'il y ait également la prise en charge des toxicomanes qui sont nombreux, des candidats au suicide et de toutes sortes de comportements déviants chez les adolescents. Un segment important de la pédopsychiatrie qu'il faut aussi développer en Algérie.