Qu'est-ce que «Le Bristol» ! Un café mythique d'après l'indépendance, situé rue Didouche Mourad, tout près de la Grande-Poste d'Alger. C'était un lieu fréquenté par des copains qui trouvaient du plaisir à se réunir tous les jours après le travail, ainsi que les samedis et dimanches. Le groupe s'était constitué à la manière d'une mosaïque. Il y avait le médecin, l'ouvrier, l'ingénieur, l'employé, le fonctionnaire, le chômeur, le turfiste et quelques «affairistes». Chacun était spécialisé dans un domaine précis et très peu pouvaient être qualifiés de pluridisciplinaires. Il y avait le chroniqueur appointé du conflit israélo-palestinien, celui éclairé du Sahara occidental, ou l'historien-théoricien du conflit Est-Ouest. Parmi nous un spécialiste de la race canine, qui possédait un chien berger allemand, qui aboyait en sept langues, disait-il. Mais, car il y a un mais, le pivot de ce microscosme était sans discussion Youcef Serghini, dit Youcef «El Hdid». Pourquoi «El H'did», parce que, plus jeune, il avait pratiqué l'haltérophilie. Il avait même été sacré champion d'Algérie de body building lors d'un concours national organisé au cinéma L'Algeria, dans les années soixante. Youcef était tout : l'animateur de cette assemblée le plus entouré, le plus écouté. Doué d'une mémoire d'éléphant, il était incollable sur la Bataille d'Alger ou n'importe quel fait divers lié à la guerre de Libération nationale. Avec lui, c'était des moments de détente et de rires inoubliables. Il avait l'art d'attribuer, souvent avec pertinence, des sobriquets. Rien n'échappait à son observation, ni l'individu habillé avec peu de goût, ni celui qui parlait avec un accent rural encore tenace malgré sa vie citadine, et gare à celui qui se trompait sur le nom de l'acteur qui a joué dans tel ou tel film américain. La récente disparition de Youcef nous a plongés dans l'affliction et la nostalgie et tous les souvenirs de cette période réapparaissent. Aussi comment oublier tous les autres qui ne sont plus de ce monde ? Leurs visages défilent devant mes yeux et le timbre de leurs voix retentit encore dans mes oreilles. Je pense à Chachou, à Belouz, à Hocine (La mairie), à Bouchekir, à Blaoui, à Brahiti, à Rachid (petit Kaoua), à Khaled (syndicat), à Mokrane, chauvin supporter de l'USMA et de la JSK, disparu tragiquement durant la décennie noire, assassiné par des lâches. C'est sous l'emprise d'une étouffante émotion que je termine ces lignes en pensant à Youcef, qui est le dernier parti. Je voudrais lui dire : «Sache qu'en quittant ce monde, c'est une partie de notre vécu que tu emportes avec toi.» NB : auteur des romans : – La Fermentation ; L'Impasse des marronniers – Nouvelles et chroniques dans Algérie Actualités au temps des regrettés Tahar Djaout et Abdelkrim Djaâd – Nouvelles dans le supplément culturel d'El Moudjahid au temps de Mouloud Achour