Contrairement à la tradition en usage dans de nombreux pays, l'Algérie ne dispose d'aucun organisme professionnel ou étatique capable de dresser un panorama complet et surtout exact de l'état de la diffusion de la presse. Cette situation fait qu'il est, pour ainsi dire, impossible aujourd'hui d'avoir une idée même approximative des tirages et des ventes des 80 quotidiens existant. Partant de ce constat, il n'est donc pas faux de dire qu'une totale opacité caractérise actuellement la gestion du champ médiatique. En France par exemple, il existe une association professionnelle, l'Office de justification de la diffusion des supports de publicité (OJD), dont le rôle est de certifier la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, des périodiques et de tout autre support de publicité. Bien avant la Deuxième Guerre mondiale, les industriels annonceurs avaient pensé qu'un système métrique était indispensable pour mesurer la véracité des chiffres de tirage annoncés par la presse. C'est ainsi donc qu'ils ont encouragé la mise en place de mécanismes de contrôle. L'OJT (Office de justification des tirages) est devenu en 1948 l'OJD. Les annonceurs sont en effet partis du principe que seule la diffusion est la base de toute négociation honnête. Et à l'instar de ce qui se pratique dans les pays démocratiques, les chiffres de l'OJD sont utilisés aujourd'hui en France pour l'élaboration des tarifs de publicité des supports certifiés. Ils servent aussi, dans de nombreux cas, de base de référence pour les pouvoirs publics, l'administration ou les tribunaux lorsque se pose la question de connaître avec exactitude la diffusion de certains supports. Nul n'est censé ignorer que la quantité diffusée donne une indication sur l'importance du titre et sert de repère pour les annonceurs.Ce n'est pas du tout le cas en Algérie, dans la mesure où les journaux peuvent afficher les tirages qu'ils veulent sans avoir la crainte d'être démentis par quelqu'un. A ce propos, il est souvent arrivé que des titres avancent des tirages quotidiens qui avoisinent le million d'exemplaires alors qu'il n'existe actuellement en Algérie aucune imprimerie publique capable d'une telle performance. Cela sachant bien sûr que les titres appelés pompeusement journaux à gros tirages ne sont pas les seuls à solliciter les services des imprimeries publiques. La pratique prouve non seulement que le secteur des médias n'est régi par aucune règle connue mais qu'il est soumis régulièrement aux injonctions du pouvoir politique. Savamment entretenue, l'opacité qui caractérise le secteur des médias a ainsi permis au pouvoir de maintenir en état de vie artificielle des dizaines de journaux qui ne sont pas viables économiquement et qui présentent également la caractéristique d'avoir très peu de lecteurs, ou parfois même pas du tout ! But de la manœuvre : étouffer par n'importe quel moyen les voix des quotidiens ayant réussi, avec le temps, à arracher une réelle indépendance éditoriale et économique. En grossissant à souhaits leurs tirages, certains journaux ont, à la longue, fini par devenir de véritables « pièges à pubs ». Mais tout le monde sait que sans le coup de pouce du pouvoir, ces journaux — qui cumulent des dettes faramineuses auprès des imprimeurs publics — auraient été lâchés par les annonceurs et mis la clé sous le paillasson depuis longtemps.