L'adoption, le week-end dernier, par le gouvernement d'un décret fixant les nouvelles modalités d'accréditation des journalistes exerçant pour le compte de médias étrangers et l'annonce par le ministère de la Communication de la reprise des discussions sur l'avant-projet de loi sur l'information confirment l'intention des autorités de revoir de fond en comble les conditions d'exercice de la profession de journaliste. Théoriquement, l'initiative du gouvernement devrait être bien accueillie par la corporation. Elle pourrait y voir une occasion pour régler ses nombreux problèmes socioprofessionnels. Dépourvus d'un statut et travaillant souvent sans le filet protecteur de la Sécurité sociale, les journalistes algériens militent, en effet, en faveur de la révision de la loi sur l'information depuis des années. Outre le sempiternel problème de l'accès aux sources, il est à rappeler que l'Algérie ne dispose pas d'un organisme chargé, en particulier, de gérer la profession. L'Algérie reste, à ce propos, l'un des rares pays où il n'existe pas de carte nationale de presse pour les professionnels. Les journalistes ne disposent, au demeurant, d'aucun avantage particulier susceptible de leur faciliter la mission d'informer. En dépit des perspectives intéressantes sur lesquelles peut déboucher un débat sur la presse, il est cependant peu probable que les journalistes reçoivent avec le sourire l'invitation de Boudjemaâ Haïchour, le nouveau ministre de la Communication. La raison ? L'emprisonnement du directeur du Matin, Mohamed Benchicou, et du correspondant d'El Youm, Ghoul Hafnaoui, le gel récent des activités du bureau d'Alger de la chaîne qatarie Al Djazira et le retard mis dans l'opération de renouvellement des accréditations des journalistes étrangers sont autant d'éléments pouvant accentuer la crise de confiance entre la presse et le gouvernement et amener les journalistes à douter de la bonne foi du ministre. Les arguments autorisant les journalistes à la méfiance et surtout à craindre qu'ils servent d'alibis à une nouvelle tentative de mise au pas de la presse sont nombreux. Le plus significatif est, sans conteste, la pénalisation de la diffamation. Ressentie comme un poignard dans le dos par l'ensemble de la corporation et perçue surtout comme une remise en cause du droit à l'information consacré par la Constitution, l'introduction des peines de prison pour les journalistes a été, d'ailleurs, l'une des causes de la dégradation des rapports entre les médias et les pouvoirs publics. Dégradation qui débouchera plus tard sur une guerre ouverte entre le président Bouteflika et des titres de la presse privée. L'autre motif d'inquiétude pour les journalistes peut avoir aussi un rapport avec les menaces proférées par Abdelaziz Bouteflika à l'encontre de la presse durant la campagne présidentielle et les vocables « anarchie et désordre » avec lesquels il n'a pas hésité à affubler les médias, en direct à la télévision, pour expliquer les raisons de son refus d'ouvrir le champ du secteur audiovisuel. Pourquoi Bouteflika aurait-il autant d'animosité à l'égard de la presse ? Il faut reconnaître que durant toute la période de son mandat, elle lui a rendu la vie difficile. Qu'à cela ne tienne, peut-on réellement reprocher à la presse de jouer son rôle ? Certes, la presse algérienne a commis des « dérives » et des « ratés » à la pelle. C'est là, sans doute, le prix d'un apprentissage difficile. Un apprentissage et une expérience engrangés, qui plus est, à l'ombre du terrorisme et de l'état d'urgence. Avec du recul, il ne pouvait certainement pas en être autrement. D'autant que l'Etat n'a pas fait grand-chose pour aider la presse à se professionnaliser. Mais même avec ses nombreux travers, est-il raisonnable, aujourd'hui, de jeter le bébé avec l'eau du bain ? Assurément non ! La démocratie et l'Etat de droit ne s'accommodent pas d'une presse aux ordres. Il est peu probable aussi que la société et les journalistes algériens se laissent priver d'une liberté chèrement acquise. Et pour lever les appréhensions entourant le dossier de la presse, il revient en premier aux pouvoirs publics de rassurer et de montrer que « le nouvel ordre », qui est sur le point de s'appliquer à la presse, ne se fera pas sur des relents de « fin de récréation » et de règlement de comptes. Dans le cas contraire, cela serait bien regrettable. A commencer par l'expérience démocratique algérienne, souvent présentée comme un exemple dans le monde arabe.