Le rassemblement auquel a appelé le Café littéraire de Béjaïa (CLB) a eu lieu hier devant la bibliothèque principale de la ville en présence d'une foule compacte dans laquelle les artistes, les intellectuels et les hommes et femmes de culture n'ont pas été nombreux. Des militants des droits humains et des représentants de Cafés littéraires activant dans quelques localités de la wilaya (Tichy, Aokas, Amizour, Sidi Aïch et Chemini) sont venus défendre le peu d'espaces de libre débat que la bureaucratie et les abus d'autorité menacent. Le rassemblement a été initié pour dénoncer l'interdiction signifiée au CLB de tenir ses activités à l'intérieur de la bibliothèque. Il lui est devenu difficile d'organiser ses rencontres durant ces derniers mois où il ne peut recevoir qu'au niveau du théâtre régional, au prix d'une programmation au compte-gouttes, soit une fois dans le mois. Ceci est la conséquence d'une politique restrictive des libertés et du monopole qui tend à s'instaurer sur l'activité culturelle par les pouvoirs publics. Ce double obstacle réduit l'animation et l'existence du mouvement associatif mis dans la difficulté, sinon dans l'impossibilité de mettre en œuvre son programme d'action. Ces embûches et d'autres ont été décriées hier. «Si nous n'animons pas des Cafés littéraires, nous risquons de disparaître», alerte Kader Sadji, animateur et un des fondateurs du CLB. Il illustre les restrictions par l'exemple de l'écrivain Kamel Daoud qui devait animer un Café littéraire en décembre dernier dans une salle accordée au TRB. La salle a finalement été réquisitionnée pour une activité officielle, quelques semaines plus tard, poussant les organisateurs à déplacer, le 11 janvier dernier, l'activité vers la ville de Sidi Aïch, en passant le témoin au Café littéraire de la ville. «Il ne faut pas attendre les interdictions pour réagir. Je sais qu'il y a des écrivains et des artistes qui sont dignes. Mais beaucoup ne dénoncent pas», a déploré Kader Sadji. La démobilisation de la société, dont des pans entiers semblent se résigner à la réalité des interdits, mais aussi de l'élite, est un constat amer sur la scène, à sec, du militantisme. «La démobilisation laisse libre voie à l'idéologie wahhabite», a averti Mouloud Tayakout du dynamique Café littéraire d'Aokas. De plus en plus de Cafés littéraires passent outre les autorisations de l'administration exigées pour tenir leurs rendez-vous. «Nous avons refusé de nous soumettre à l'autorisation du chef de daïra et nous avons tenu notre conférence», déclare au microphone un représentant du Café littéraire d'Amizour. Son camarade de l'association Asaki de Tichy, qui anime le Café littéraire de cette ville, aspire à «une révolution culturelle». Parmi les témoignages des difficultés vécues sur le terrain il y a celle qui reprend ce «justificatif» officieux du refus d'octroi d'une autorisation par un responsable : «Je ne te donne pas la salle pour que tu me critiques». C'est là un «argument» inspiré d'une réplique déjà entendue au sommet de l'Etat. En finir avec le diktat de l'administratif et réhabiliter le culturel est une revendication commune aux militants présents au rassemblement. D'autres revendications ont été exprimées, dont celle de maintenir l'affectation du siège de l'ex-tribunal en tant qu'annexe de l'école supérieure des Beaux-arts d'Alger, comme décidé pourtant par une voix officielle. «D'un claquement de doigts, le directeur de la Culture a décidé d'en faire une annexe de l'école de musique dépendant de l'école régionale de Bouira», dénonce le photographe et plasticien Djamel Bouali. Un «acte de sabotage», juge Rabah Nasri, militant politique et associatif.