La marche de ce 8 Mars a commencé plus tôt que prévu dans la capitale de l'Est. Les derniers rebondissements sur la scène nationale, dont des ralliements à cette cause, ont incité les jeunes à sortir vers 13h, en entonneront des chants sur les percussions de la derbouka et des tambours. La grande déferlante, scindée en plusieurs groupes, s'est jointe à eux après la prière pour envahir les artères principales de la ville en une procession infinie. Ils étaient 70 000, 100 000 manifestants, peut-être plus en l'absence de statistiques. Une chose est toutefois sûre, il s'agit d'une véritable marée humaine qui s'est ébranlée depuis le quartier de Saint-Jean pour faire le tour de la ville, arborant le drapeau national et pancarte très significative du rejet du pouvoir en place. Les slogans scandés lors des deux dernières marches sont toujours d'actualité, d'autres viendront les renforcer : «Nous sommes, vous n'êtes rien ; non à la dégradation, oui au changement.» Du rejet du 5e mandat du président sortant, la revendication de la rue a évolué vers des perspectives politiques, dont celle de l'avènement d'une IIe République, pour annihiler toute velléité de pérennisation de ce système. Hier, 8 mars, associée à la Journée de la femme, l'action contestataire a pris des allures de fête. Le combat des aînées pour l'indépendance est repris aujourd'hui par la jeune génération de femmes, présentes en force. Le vent du changement qui souffle sur ce printemps redonne espoir à toutes ces belles qui sont venues seules ou accompagnées fusionner leur combat avec cette dynamique populaire. Des universitaires, des cadres, des étudiantes et même des femmes au foyer ont renforcé les rangs de la contestation, drapées dans l'emblème national et arborant des ballons verts. Parfois ce sont trois générations qui défilent côte à côte. A l'image de cette septuagénaire qui a marché avec ses petites-filles, pour être témoins de «cette page de l'histoire qui est en train de s'écrire». Les manifestantes ont aussi scandé des slogans faisant référence à nos glorieuses martyres, dont Hassiba Ben Bouali et Meriem Bouattoura. «Nodé, nodé y a Hassiba, rahoum khad'ouk ya lahbiba» (réveille-toi ô Hassiba, ils t'ont trahie), ont-elles interpellé l'héroïne de la Bataille d'Alger. La marche pacifique, qui a duré jusqu'à 17h, s'est déroulée dans le calme et sans heurt, sous l'œil des brigades antiémeute quadrillant la ville. Hier, ce n'était pas la Journée de la femme, c'était celle d'une population en attente de l'aube de l'émancipation et de l'affranchissement.