Pouvez-vous faire une évaluation des décisions prises par Bouteflika à la lumière de la Constitution ? Nous vivons, semble-t-il, une crise constitutionnelle majeure, caractérisée par un squat de la fonction suprême de ce pays par des entités inconnues. L'Algérie vit depuis longtemps dans un putsch parfait parce que non déclaré. Les mesures annoncées sont-elles juridiquement appropriées ? Deux observations doivent être faites. Sur le plan du fond : on a décidé de recourir à l'article 107 applicable «lorsque le pays est menacé d'un péril imminent dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale, le président de la République décrète l'état d'exception». Alors que nous vivons une situation plus simple, qui appelle à l'article 102 qui régit la maladie du Président. A moins de considérer ces manifestations comme un danger qui menace la stabilité du pays. Sur le plan de la forme : les mesures prises requièrent l'audition des institutions constitutionnelles – le Parlement avec ses deux Chambres et le Conseil constitutionnel. La rédaction du texte laisse supposer que cette audition des institutions constitutionnelles suit l'annonce de l'état d'exception et ne le précède pas, en ce sens qu'il ne s'agit pas d'une consultation préalable nécessaire, mais d`une formalité postérieure à une décision d'une extrême gravité que le Président prend seul. Avez-vous une lecture politique de ce traitement juridique qui, selon vous, est inapproprié à la situation actuelle ? Nous sommes devant une approche juridique biaisée, à la fois conséquente et révélatrice de travers politiques accumulés durant vingt années d'exercice autocratique du pouvoir. Dans un système politique construit autour du Président, la maladie ou la disparition de ce dernier est assimilée à une menace qui pèse sur la stabilité de la nation. La situation est donc inquiétante. Y aurait-il des arrière-pensées ou des plans qui se préparent ? Il y a d'abord une volonté de maintien du statu quo et de l'équipe actuelle. En outre, et c'est plus grave, le cheminement juridique laisse supposer ou craindre que ces mesures ne sont que le prélude à une annonce ultérieure, explicite, d'un état d'exception qui, pour l`heure, ne dit pas son nom. On a écarté l'article 102, applicable en l'occurrence lorsque le Président est malade, et préféré l'article 107 à mettre en œuvre par un Président en bonne santé en cas de péril imminent, menaçant la stabilité de la nation. L'absence, la défaillance et la carence des institutions représentatives de la République ont laissé le vide à des pouvoirs inconnus qui agissent au nom du Président et incarnent l'unité et la souveraineté de la nation. Les autres mesures prises vous semblent-elles conformes à la légalité ? Absolument pas. Trois mesures substantielles sont à noter : un état d'exception illégitime décidé par une entité inconnue ; la création d'un poste de vice-Premier ministre qui n'existe pas dans la Constitution – illégalité manifeste révélatrice d'une logique de partage du pouvoir ; une conférence nationale, institution non constitutionnelle – je ne dis pas anticonstitutionnelle — qui va se substituer aux instituions élues. Et une prolongation indéfinie du mandat présidentiel. Quelle est votre évaluation au plan politique ? Une avancée démocratique certaine est à inscrire, exclusivement, à l'actif d'un peuple qui a manifestement mûri. Une mobilisation spontanée et réussie qui ne doit pas être récupérée ni par les réseaux dormants des services, ni par une quelconque officine, ni encore par d'autres structures qui souhaiteraient la phagocyter pour le compte du pouvoir ou des clans du pouvoir. Les mesures vous semblent-elles satisfaisantes ? Non suffisantes. L'abandon du 5e mandat est un acquis certain, mais l'engagement des réformes par un pouvoir qui a mené le pays dans cette impasse tragique est un non-sens. Le maintien aux commandes de ceux qui devaient organiser cette mascarade électorale est une grande supercherie. Cette approche juridiquement biaisée est à la fois conséquente et révélatrice de desseins politiques sournois. C'est le maintien du système actuel et son ravalement par de nouvelles façades.