Nous sommes le 11 juin 2013, cela fait 45 jours que le Président est absent, c'est vraiment trop, son absence devient inquiétante, le peuple est en droit de se poser des questions et de savoir ce qu'il advient de lui. On ne peut indéfiniment lui cacher la vérité, il faut que le peuple sache, et cette attitude trop cachottière des responsables relève du non- sens, je dirais même de l'inconscience, car le suspense devient intenable et infernal, nous ne savons pas dans quel état il est, s'il est vraiment rétabli, voire s'il est vivant, et toutes les tentatives des dirigeants hagards du pays pour nous rassurer sont vouées à l'échec à cause de la durée et du secret. Pourtant, une petite image innocente à la télé aurait suffi à rasséréner les Algériens, à calmer les exubérances, les humeurs et les folies de tous les charlatans de la politique et surtout à lever tous les doutes à propos d'une chose tout à fait naturelle, car seul Dieu le Tout-Puissant est immunisé contre tout, et le président Bouteflika, comme tous les êtres humains, peut lui aussi tomber malade. D'ailleurs, si son image venait à leur être diffusée, les Algériens connus pour leur altruisme et leur grand cœur, n'en seraient que plus compatissants et attendris à son égard, à moins que sa fierté n'aille au-delà de toutes les limites, ou qu'il soit vraiment très malade. Dans le discours qu'il a tenu le jeudi 30 mai 2013 à Sétif, en face des militants du RND, au cours d'une sortie partisane, le SG par intérim du RND et président du Sénat, Bensalah, a tenté de rassurer les Algériens sur la bonne santé du Président, mais son discours n'a pas dépassé les portes de la salle où il a tenu son meeting. Emporté par sa verve et son excès de zèle, il s'est oublié et a commis une grave erreur, il a dit tout haut une phrase assassine qui va être très mal comprise et interprétée par l'entourage du Président, une phrase qui peut vouloir dire qu'on peut aisément se passer du Président : «Le Président est absent et malade, mais vous voyez que le pays se porte bien et les institutions fonctionnent normalement.» Le frère du Président, Saïd Bouteflika, malin comme le diable, et qui ne fait confiance à personne, va disséquer cette phrase, l'expliquer à son frère et le monde va commencer à chavirer autour de Bensalah l'anesthésiste. A propos du fonctionnement normal des institutions, moi, je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'il prêche, lui et tous les autres vassaux, je dis que notre pays est bloqué et que les institutions ne fonctionnent pas normalement, et c'est la Loi suprême du pays, la Constitution qui le veut, notamment l'article 87 qui stipule : Art. 87 - Le président de la République ne peut, en aucun cas, déléguer le pouvoir de nommer le Premier ministre, les membres du gouvernement, ainsi que les présidents et membres des institutions constitutionnelles pour lesquels un autre mode de désignation n'est pas prévu par la Constitution. De même, il ne peut déléguer son pouvoir de recourir au référendum, de dissoudre l'APN, de décider d'organiser des élections législatives anticipées, de mettre en œuvre les dispositions prévues aux articles 77, 78, 91, 93 à 95, 97, 124, 126, 127, et 128 de la Constitution. Nous allons voir quels sont les autres pouvoirs qu'il ne peut déléguer et qui sont définis dans les articles suscités : Art. 77 - Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants : -1- Il est le chef suprême de toutes les forces armées de la République ; -2- Il est responsable de la défense nationale ; -3- Il arrête et conduit la politique extérieure de la nation ; -4- Il préside le Conseil des ministres ; -5- Il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions ; -6- Sous réserve des dispositions de l'article 87 de la Constitution, le président de la République peut déléguer une partie de ses prérogatives au Premier ministre à l'effet de présider les réunions du gouvernement ; -7- Il peut nommer un ou plusieurs vice-Premiers ministres afin d'assister le Premier ministre dans l'exercice de ses fonctions et mettre fin à leurs fonctions ; -8- Il signe les décrets présidentiels ; -9- Il dispose du droit de grâce, du droit de remise ou de commutation de peine ; -10- Il peut, sur toute question d'importance nationale, saisir le peuple par voie de référendum ; -11- Il conclut et ratifie les traités internationaux ; -12- Il décerne les décorations, distinctions et titres honorifiques d'Etat. Art. 78 - Le président de la République nomme : -1- aux emplois et mandats prévus par la Constitution ; -2- aux emplois civils et militaires de l'Etat ; -3- aux désignations arrêtées en Conseil des ministres ; -4- le président du Conseil d'Etat ; -5- le secrétaire général du gouvernement -6- le gouverneur de la Banque d'Algérie ; -7- les magistrats ; -8- les responsables des organes de sécurité ; -9- les walis Le président de la République nomme et rappelle les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires de la République à l'étranger. Il reçoit les lettres de créance et de rappel des représentants diplomatiques étrangers. Art. 91 - En cas de nécessité impérieuse, le Haut Conseil de sécurité réuni, le président de l'APN, le président du Conseil de la nation, le Premier ministre et le président du Conseil constitutionnel consultés, le président de la République décrète l'état d'urgence ou l'état de siège, pour une durée déterminée et prend toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la situation. La durée de l'état d'urgence ou de l'état de siège ne peut être prorogée qu'après l'approbation du Parlement siégeant en Chambres réunies. Art. 93 - Lorsque le pays est menacé d'un péril imminent dans ses institutions, dans son indépendance ou dans son intégrité territoriale, le président de la République décrète l'état d'exception. Une telle mesure est prise, le président de l'APN, le président du Conseil de la Nation et le Conseil constitutionnel consultés, le Haut Conseil de sécurité et le Conseil des ministres entendus. L'état d'exception habilite le président de la République à prendre les mesures exceptionnelles que commande la sauvegarde de l'indépendance de la nation et des institutions de la République. Le Parlement se réunit de plein droit. L'état d'exception prend fin dans les mêmes formes et selon les procédures ci-dessus qui ont présidé à sa proclamation. Art. 94 - Le Haut Conseil de sécurité entendu, le président de l'APN et le président du Conseil de la nation consultés, le président de la République décrète la mobilisation générale en Conseil des ministres. Art. 95 - Le Conseil des ministres réuni, le Haut Conseil de sécurité entendu, le président de l'APN et le président du Conseil de la nation consultés, le président de la République déclare la guerre en cas d'agression effective ou imminente, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte des Nations unies. Le Parlement se réunit de plein droit Le président de la République informe la nation par un message. Art. 97 - Le président de la République signe les accords d'armistice et les traités de paix. Il recueille l'avis du Conseil constitutionnel sur les accords qui s'y rapportent. Il soumet ceux-ci immédiatement à l'approbation expresse de chacune des Chambres du Parlement. Art. 124 - En cas de vacance de l'APN ou dans les périodes d'intersession du Parlement, le président de la République peut légiférer par ordonnance. Le président de la République soumet les décisions qu'il a pris à l'approbation de chacune des chambres du Parlement, à sa prochaine session. Sont caduques les ordonnances non adoptées par le Parlement. En cas d'état d'exception défini à l'article 93 de la Constitution, le président de la République peut légiférer par ordonnances. Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres. Art. 126 - La loi est promulguée par le président de la République dans un délai de trente (30) jours à compter de la date de sa remise. Toutefois, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi par l'une des autorités prévues à l'article 166 ci-dessous, avant la promulgation de la loi, ce délai est suspendu jusqu'à ce qu'il soit statué par le Conseil constitutionnel dans les conditions fixées par l'article 167 ci-dessous. Art. 127 - Le président de la République, peut demander une seconde lecture de la loi votée, dans les trente (30) jours qui suivent son adoption. Dans ce cas, la majorité des deux tiers (2/3) des députés à l'APN est requise pour l'adoption de la loi. Art. 128 - Le président de la République peut adresser un message au Parlement. Par leur incompétence avérée et leur charlatanisme exaspérant sur le plan institutionnel, tous les politiciens sont en train de nous orienter inutilement sur une fausse voie pour la sortie de crise, l'article 88, qui stipule : Art. 88 - Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement. Cet article est un vrai imbroglio, un labyrinthe, il est très compliqué et très difficile à appliquer, pour moi c'est clair, il régit très mal le cas d'empêchement pour plusieurs raisons auxquelles il est impossible de trouver une réponse, et la difficulté, voire l'impossibilité, de son application commence dès la première phrase de l'article. Il y a deux étapes dans la constatation de la maladie grave et durable, qui se termine par l'impossibilité d'exercice de ses fonctions pour le président. 1re étape : «Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions», cet alinéa suscite des questions : - Y a-t-il un médecin ou des médecins désignés expressément par un texte réglementaire pour le cas prévu à cet alinéa de l'article 88 ? - Quelle est ou quelles sont les personnes détentrices du dossier médical du Président, qui sont mandatées pour le gérer et disposant de l'autorité de prononcer l'impossibilité pour le président d' exercer ses fonctions ? - Le plus grand obstacle dans cet alinéa réside dans le mot «total», oui que veut dire l'expression «empêchement total» ? Une paralysie générale, une mort cérébrale, la cessation de fonctionnement de tous les organes sensoriels, c'est une question lancinante à laquelle il est très difficile de trouver une réponse, et une procédure de mise en œuvre. - Une question très importante se pose : qui actionne le pouvoir médical, oui qui est la personne habilitée ou le pouvoir mandaté censés saisir le médecin ou le cabinet de médecins à l'effet de constater la maladie grave ? - L'autre grande question que pose cet alinéa d'importance capitale est la suivante : qui oserait franchir les limites de la peur et se hasarder à défier le Président et son frère en décrétant la maladie grave et durable et surtout l'impossibilité de l'exercice des fonctions ? A mes yeux aucune personne ne pourrait le faire, c'est une voie sans issue. 2e étape : Après la 1re étape qui relève exclusivement du monde médical, c'est au tour du Conseil constitutionnel, c'est-à-dire le côté purement légal, de se réunir de plein droit, l'expression «plein droit» a été utilisée pour un but précis, celui de doter le Conseil constitutionnel du pouvoir d'autosaisine automatique conséquent au constat médical cité dans la 1re étape. Là aussi, un grand problème se pose et pourrait entraver sans nul doute la poursuite normale du processus, car avant de proposer au Parlement de déclarer l'état d'empêchement, le Conseil constitutionnel jouit de la prérogative constitutionnelle de vérifier la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, et c'est là où tout s'arrête, car cette expression «tous moyens appropriés» est tellement large et vague que des milliers de journées d'études et de séminaires n'arriveraient pas à cerner. Pour ma part, j'imagine mal Tayeb Belaïz, le président actuel du Conseil constitutionnel, un vassal fidèle et inconditionnel du Président, déclarer l'état d'empêchement de son chef, lorsque les textes sont aussi vagues et imprécis. Donc la référence à l'article 88 n'est qu'une chimère, un mirage, voire un chant de sirènes que nous chantent nos politiciens en manque d'inspiration et de formation politique, et au lieu de nous mener droit dans ce mur, ils auraient du poser les bonnes questions que voici : étant donné que la Constitution ne prévoit pas un vice- Président pour remplacer le Président en cas de maladie grave et durable, ou d'absence prolongée, - Qui peut remplacer le Président-roi dans ce cas de maladie prolongée ? - Quels sont les pouvoirs dont peuvent disposer ce ou ces remplaçants ? - Le pays n'est-il pas bloqué par l'absence du Président ? Qui peut remplacer le Président ? 1° Le président du Conseil de la nation ? Je dois vous préciser que Bensalah, le président du Sénat est exclu de tout intérim pour le moment, oui tant que l'empêchement n'a pas été décrété selon l'article 88, et cette histoire de 2e homme de l'Etat n'est qu'un nuage, un mythe, rien que du blabla constitutionnel, Bensalah est un remplaçant ultime prévu par la Constitution dans les cas extrêmes de force majeure. Bensalah n'a rien d'un vrai 2e homme, c'est un 2e homme fictif et imaginaire, je dirais que c'est tout simplement une ombre qui a été prévue pour pallier un imprévu, comme le stipulent les dispositions de l'article 88. L'article 88 de la Constitution prévoit trois cas où l'intérim est assumé par le président du Sénat : -1er cas : Le président du Sénat est chargé par le Parlement d'assurer l'intérim du chef de l'Etat, dans le cas où le Président est dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions suite à une maladie grave et durable. -2e cas : Si la situation d'empêchement persiste, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, prononce la vacance définitive du pouvoir et communique immédiatement l'acte de vacance définitive au Parlement qui se réunit de plein droit. Le président du Conseil de la nation assume la charge de chef de l'Etat pour une durée maximale de soixante (60) jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées. Donc le président du Conseil de la nation est exclu de tout intérim tant que le Président n'a pas fait l'objet d'une procédure de remplacement légale comme le prévoit l'article 88. 2° le président du Conseil constitutionnel ? L'article 88 prévoit aussi le remplacement du Président par le président du Conseil constitutionnel, mais dans le cas extrême de la conjonction de la démission ou du décès du président de la République et de la vacance de la présidence du Conseil de la nation, pour quelque cause que ce soit. Dans un pareil cas, le président du Conseil constitutionnel assume la charge de chef de l'Etat pour une durée de 60 jours. 3° Le président de l'APN ? Aucun intérim n'est prévu pour ce responsable. 4° le Premier ministre ? La Constitution accorde au Président le droit de déléguer à son Premier ministre un seul pouvoir, celui de réunir le Conseil de gouvernement, comme il est expressément défini dans l'alinéa 6 ci-dessous : Art. 77- 6- sous réserve des dispositions de l'article 87 de la Constitution, le président de la République peut déléguer une partie de ses prérogatives au Premier ministre à l'effet de présider les réunions du Gouvernement ; Quels sont les pouvoirs dont peuvent disposer ce ou ces remplaçants ? La réponse est facile : aucun pouvoir n'a été prévu par notre Constitution pour le président du Sénat, le président de l'APN, le président du Conseil constitutionnel, et un seul pouvoir a été laissé au Premier ministre, celui de réunir le Conseil du gouvernement, une institution qui est effacée devant le Conseil des ministres, seule institution dotée du pouvoir délibérant. Le pays n'est-il pas bloqué par l'absence du président ? Je dirais que non seulement le pays est bloqué, que ses institutions le sont aussi, mais qu'il est en quelque sorte dans une situation de grève et astreint à assurer un service minimum comme l'exigent les lois sur les grèves. En conclusion, cette situation dramatique et en même temps burlesque que vit le pays devrait nous amener à nous poser des questions sur notre régime, sur cette concentration excessive des pouvoirs entre les mains d'une seule personne, elle devrait aussi nous conduire à réfléchir sur notre présent et notre futur, sur les méthodes de gestion des richesses et des affaires du pays, sur le projet de société que nous voulons, enfin sur notre Algérie. Cette situation devrait aussi nous amener à revenir à la Constitution du président Zeroual, le meilleur repère et le seul document valable, que nous ayons pu avoir dans notre pauvre bibliothèque institutionnelle, quitte à corriger les quelques petites insuffisances qui s'y trouvaient, avant qu'elle ne fut remaniée par l'actuel Président. La Constitution aurait dû prévoir soit un vice-Président qui assure l'intérim du Président en cas d'absence pour congé ou maladie, soit des délégations de pouvoirs à certains hauts responsables en cas d'absence pour les mêmes motifs.