Un air de déni plane sur la commémoration des tragiques événements du printemps noir de 2001. En dehors d'un noyau se réclamant encore des archs, qui a programmé un rassemblement et des dépôts de gerbes de fleurs, aucune autre partie n'a prévu des actions commémoratives de cette date frappée du sceau du martyre de 126 jeunes de Kabylie. Le traumatisme vécu dans la région, il y a neuf ans, est tel que la population et les organisations représentatives ne sont pas encore prêtes à faire un retour sur ces journées noires où des manifestations de jeunes aux mains nues étaient réprimées avec des balles réelles. Près d'une décennie n'a pas été suffisante pour organiser un débriefing général pour panser les blessures et faire le bilan d'une lutte authentique contre l'injustice, l'abus d'autorité et l'exclusion. Un lourd tribut Les blessures ne sont pas encore refermées et les nombreuses victimes portant les traces de ces événements dans leur chair ne sont pas encore sorties du cauchemar mortel du printemps noir. On peut avoir été blessé en 2001 et mourir en 2009, comme cela a été le cas de Farid Acid, de Tizi Ghennif, mort en juillet 2009 à l'âge de 29 ans, après huit années d'hospitalisation passées en grand partie sur un fauteuil roulant. Des centaines de handicapés à vie, des milliers de blessés, 126 morts, un très lourd tribut payé par la population locale qui s'était soulevée contre un ordre de fer qui multipliait les dérives. Guermah Massinissa, un jeune lycéen de Beni Douala, a été tué le 18 avril 2001 de plusieurs balles dans la brigade de gendarmerie, aujourd'hui fermée. Quatorze brigades avaient été « délocalisées » en mars 2002, comme première mesure concédée par les autorités centrales en réponse aux exigences du mouvement des archs, qui réclamaient le départ de l'ensemble de ce corps de sécurité de la Kabylie. Aujourd'hui, la Gendarmerie nationale opère son redéploiement dans la région, s'appuyant sur la quête de sécurité réclamée par la population. Bélaïd Abrika, l'un des derniers délégués encore mobilisés sur le terrain, pense que le retour de la gendarmerie ne réglera pas le problème de l'insécurité : « Ce corps de sécurité ne peut pas remplir sa mission en l'absence de la confiance de la population, et cette confiance ne peut pas être rétablie tant que la justice n'est pas rendue et l'impunité non levée. » L'ancien porte-parole des archs souligne qu'il se trouve encore sous contrôle judiciaire pour avoir participé, il y a deux ans, à des rassemblements devant des barrages routiers de la gendarmerie. Il s'inscrit en porte-à-faux de l'opinion dominante faisant état de l'aggravation de l'insécurité depuis les événements de 2001. « La région était sécurisée entre 2001 et 2005, lorsque la mobilisation citoyenne s'exprimait sur le terrain. Et le niveau d'insécurité de ces dernières années est le même qu'avant 2001 », affirme-t-il. A propos de la plate-forme d'El Kseur qui consignait les revendications des archs, elle demeure à 80% non satisfaite, dit B. Abrika, en dépit des engagements solennels pris par les autorités pendant le processus de dialogue, en 2005. Tamazight est promu langue nationale, mais son officialisation est bloquée en raison de la rétention au niveau central des dispositions réglementaires visant la promotion de cette langue, comme la mise en place d'une académie et d'un conseil supérieur. L'indemnisation des victimes et leur statut ont été pris en charge, mais le jugement des auteurs des assassinats n'a pas abouti devant des juridictions civiles, comme cela avait été annoncé au cours du dialogue. Le chemin reste encore long dans une région où la scène politique est en voie de « normalisation », où les coordinations des archs ont été supplantées par les comités de soutien au président de la République et où les énergies sont dispersées entre le combat contre le terrorisme et contre la chape de plomb politique et économique.