Hocine Aït Ahmed a-t-il, oui ou non, été un acteur-clé de la conférence des non-alignés à Bandoeng en avril 1955 ? Pas si sûr, pensent certains. Dans un débat organisé hier par le centre Echaâb des études stratégiques, le nom du chef de la délégation du FLN à cette conférence historique est passé presque inaperçu. Et pour cause, l'ambassadeur d'Algérie en Indonésie d'alors, Mohamed-Larbi Demagh El Atrous, qui animait la conférence, n'a pas prononcé une seule fois le nom de Hocine Aït Ahmed, ne serait-ce que comme membre de la délégation à Bandoeng. Dans la salle, les chuchotements allaient bon train sur cet « oubli » finalement volontaire d'un homme âgé, mais qui se souvient très bien du défunt M'hammed Yazid. Tout au long de son tour d'horizon historique sur Bandoeng, Demagh El Atrous a complètement zappé le nom d'Aït Ahmed. Il se fera un malin plaisir de mettre en avant M'hammed Yazid qui était pourtant l'adjoint d'Aït Ahmed, en le désignant comme étant l'architecte du FLN au congrès. L'ex-ambassadeur dans de nombreux pays arabes et musulmans a, en revanche, largement usé de formules élogieuses frisant le panégyrique pour désigner Gamel Abdel Nasser, Bourguiba et même Anouar Sadate pour leur rôle, d'après lui, dans l'acceptation de la délégation du FLN à Bandoeng et plus tard dans la discussion de la question algérienne à l'AG de l'ONU. Demagh El Atrous a achevé son exposé sans souffler mot sur Aït Ahmed à la surprise générale. Lui succédant, Ameur Rekhila, ancien membre du Conseil constitutionnel et du Conseil national de transition (CNT), a tenté de réparer cet impair historique en citant Aït Ahmed comme une « figure marquante » du congrès de Bandoeng. Dans son long rappel historique sur la genèse de cette conférence, l'orateur a mis l'accent sur le fait que la participation du FLN via ses représentants à Jakarta était « le premier succès retentissant de la diplomatie révolutionnaire ». Une histoires, des histoires… Il a également mis l'accent sur le fait qu'Aït Ahmed et M'hammed Yazid ont transformé le bureau de la Ligue arabe, à New York, en « cellule de lobbying du FLN ». Mais Ameur Rekhila voulait visiblement éviter la polémique à propos d'Aït Ahmed avec Demagh El Atrous. Il l'a, certes, cité, mais sans pour autant réparer les contrevérités historiques distillées. C'est alors que Abdelkader Bouselham, ex-conseiller du président Bouteflika, bondit de sa chaise et prend le micro : « Ecoutez, ce n'est pas parce qu'on ne partage pas les positions politiques de Hocine Aït Ahmed qu'on doit se permettre de gommer son nom de l'histoire de Bandoeng… Qu'on le veuille ou non, Hocine Aït Ahmed a été le chef de la délégation du FLN à ce congrès et c'est lui, avec le défunt M'hammed Yazid, qui a porté la voix du FLN à l'ONU en 1955 à New York ! » Cette mise au point historique de Abdelkader Bouselham, qui a ému la salle, a eu le mérite de clore net la polémique. La rencontre, qui devait servir de tribune de débat autour de la diplomatie révolutionnaire de Bandoeng aux Accords d'Evian est finalement tombée dans des raccourcis historiques, qui plus est, ciblait des repères du mouvement national coupables de ne pas être en odeur de sainteté aujourd'hui. Il était hier difficile pour les participants d'assumer le rôle moteur de Hocine Aït Ahmed avant et durant Bandoeng. On comprend mieux pourquoi la célébration du 55e anniversaire de ce grand rassemblement des non-alignés a été expédiée par une seule rencontre organisée par le centre d'Echaâb des études stratégiques et non par les pouvoirs publics. Le 22 février dernier, l'ancienne puissance coloniale via la Mairie de Paris a convié Hocine Aït Ahmed en tant que « invité d'honneur et chef de la délégation FLN-ALN à la conférence de Bandoeng ». Aït Ahmed s'y est notamment appesanti sur l'aide précise de Azzam Pacha ex-SG de la Ligue arabe, mais surtout de l'émir Fayçal d'Arabie Saoudite « qui a débloqué 100 millions de francs français pour sa prise charge avec M'hammed Yazid à la conférence de Bogor, pas loin de Jakarta où devait être arrêté l'ordre du jour de Bandoeng ». Il a également rendu hommage au travail « remarquable » de Tahar Amira, chargé du bureau tunisien à Jakarta, qui s'était démené pour établir les contacts entre les deux Algériens et les autres délégations ainsi que le monde de la presse. Signalons que l'ambassadeur de l'Indonésie, présent hier, a promis d'organiser un grand colloque en mai prochain autour de Bandoeng avec des « invités de marque ».