Dans un contexte révolutionnaire, de remise en cause radicale d'un système politique qui s'enfonce dans la gestion de ses propres échecs, les opérations visant à canaliser ou contrôler les foules sont aussi vaines que dangereuses. C'est pourtant ce que tente de faire le pouvoir en place en accentuant le dispositif de blocage des routes autour de la capitale dans le but évident de réduire l'ampleur et l'impact des manifestations populaires. Ce raidissement sécuritaire intervient à un moment où les nombreuses voix de la raison accompagnant l'insurrection citoyenne et pacifique appellent à une ouverture politique dans l'espoir d'inscrire le pays dans une trajectoire de sortie de crise consensuelle et apaisée. Engagés dans une profusion de discours rarement cohérents, les décideurs ne s'autorisent pas une halte salutaire pour saisir la nature de la crise et la réalité de l'impasse historique. Ils n'ont, pour l'heure, pas compris que l'enjeu n'est pas d'empêcher les citoyens d'accéder aux lieux des manifestations mais de faire en sorte, qu'un jour, les autorités puissent aller au-devant de la population sans être chassées et accablées de sentences définitives. S'il est urgent de prendre acte des messages politiques lancés lors des marches imposantes qui sont rééditées avec la même détermination depuis plus de deux mois, il est tout aussi impérieux de percevoir les signaux de colère et d'exaspération envoyés depuis les localités les plus retirées et les moins couvertes par les médias. A Saïda, jeudi dernier, des jeunes ont mis leur vie en danger en se mettant en travers d'un cortège ministériel qui quittait à vive allure une région où l'envoyé du gouvernement voulait apporter la bonne nouvelle du développement touristique. Persistant dans leur attitude autiste, les représentants de l'Etat pensent encore trouver une attente là où il n'y a que rejet et défiance. Et les spécialistes de la manipulation continueront à prétendre que le peuple veut simplement la chute d'un 4e B que même le parti qu'il dirige provisoirement s'apprête à débarquer sans égard ni explication, ou d'un Premier ministre quasiment porté disparu dans le système de gouvernance encore en place. A M'sila, mercredi, des citoyens ont forcé l'entrée du siège de daïra, sous le regard résigné des policiers, pour protester contre leur exclusion de la liste des bénéficiaires des logements sociaux. Et le slogan fédérateur des marches du vendredi, fustigeant les «pilleurs» des richesses du pays, a été entonné à plus de 200 km des barrages filtrants autour d'Alger. Dans ce climat lourd de périls, la dernière tentation serait de vouloir casser le thermomètre, de brider les canaux d'expression alors même que les nouveaux médias et les nouvelles technologies accompagnent le moindre geste citoyen dans la localité la plus oubliée du pays. L'autre manœuvre dangereuse est de tenter de dissocier la quête de justice de celle d'un Etat de droit, lequel ne peut se concrétiser qu'au terme d'une transition politique et démocratique. Les jeunes de ce pays ne demandent pas de porter un coup d'arrêt à la vie économique ou de liquider des entreprises en pleine activité, ni de dresser des échafauds sur la place publique ou à la sortie des tribunaux, mais de faire place nette pour pouvoir entrevoir de nouveaux horizons. Il ne s'agit pas de récupérer un passé, de toute façon perdu, mais de ne pas confisquer, une nouvelle fois, l'avenir.