Plus de 720 pages pour venir à bout de ce dossier qui mine la société française, il fallait bien ça pour commencer à y voir clair. Une parution magistrale. C'est une belle surprise doublée d'une utilité manifeste que la parution du Dictionnaire des racismes, de l'exclusion et des discriminations chez Larousse. Une première en France et peut-être mondiale, car si les Anglo-Saxons (les Américains surtout) y ont déjà œuvré dès les années 1980, ils n'avaient pas associé les thématiques lourdes aujourd'hui en France de l'exclusion et des discriminations sous toutes leurs formes, pas seulement racistes ou xénophobes. Esther Benbassa, directrice d'études à l'Ecole pratique des hautes études qui a supervisé le livre, explique la démarche qui est de « transmettre, d'alerter, de rectifier, d'aller au-delà des préjugés et des stéréotypes, dans la clarté et la précision, en évitant la démagogie et autant que possible les partis-pris ». Un objectif difficile, lourd qui a demandé à plus de 40 chercheurs de contribuer, par leurs apports, à enrichir cet ouvrage, « fruit d'un humanisme à plusieurs voix et coloré, toujours en danger, mais obstiné malgré sa fragilité, face à la barbarie, elle est omniprésente ». C'est pourquoi, l'ouvrage est un « appel à la solidarité, seule valeur sûre en ces temps de crise ». Esther Benbassa, apaisée au bout de ce marathon intellectuel collectif, indique que c'est là un projet qui lui tenait à cœur : « Parce qu'intellectuelle, citoyenne, je crois malgré tout, contre l'évidence même, qu'on peut, sinon changer le monde, du moins le rendre un peu meilleur. Ce modeste travail n'y suffira pas ». Le dictionnaire s'ouvre sur les temps forts d'une chronologie qui invite à une traversée d'une histoire contrastée, jusqu'aux récents reculs en France sur la mémoire et sur l'accueil des étrangers, avec le ministère de l'Immigration. Ensuite 300 articles, de longueur variable vont de l'abolitionnisme à zoos humains, en passant par antisémitisme, banlieues et quartiers, bible, colonisation, cultures noires, esclavage, gay pride, génocides, hip hop, identité nationale, islamophobie, langues, cultures et identités créoles, littérature orientaliste, marche pour l'égalité, misogynie, nakba, négationnisme, paria, pauvreté et précarité, totalitarismes, tsiganes, voile… Dans une préface, trois voix sont invitées à commenter. L'ancien footballeur Lilian Thuram écrit que « la racine des différences est, je crois, d'abord sociale. Qu'il s'agisse du sport ou de l'école, l'inégalité est la règle ». Christiane Taubira, députée de la Guyane, estime que « ceux qui vous côtoient dans une relation tellement normale que votre couleur échappe à leur attention, se trouvent fort dépourvus lorsque l'actualité rend visibles ceux qui vous ressemblent ». Enfin Hamé, du groupe de hip-hop La Rumeur, poursuivi il y a quelques années par le ministère de l'Intérieur pour avoir porté atteinte à l'honneur de la police nationale, alors qu'il pointait « la récurrence des violences policières contre les populations issues de l'immigration ». Il écrit comment, alors enfant, à l'école, il était tout fier de tracer sur le tableau noir, maladroitement, les lettres Algérie à la demande du professeur. C'était durant un cours sur la conquête de 1830 : « Je ne saurais jamais ce qui peut pousser un adulte à manipuler un enfant au point de lui faire écrire sa propre défaite, celle de ses ancêtres aux confins d'un siècle révolu (…). Ayant regagné ma place, je me rendis compte de l'humiliation qui venait de m'être faite ». Une version vécue de ce que peuvent ressentir des millions de personnes au pays des droits de l'homme. * Dictionnaire des racismes, de l'exclusion et des discriminations, Larousse Paris, avril 2010, collection A Présent, 28 euros.