Le naufrage est mystérieux. Comme dans un film de série B. La corvette sud-coréenne Cheonan, désormais célèbre, coule dans les eaux de la mer Jaune au large de l'île de Baengnyeong dans la matinée du vendredi 26 mars 2010. Séoul De notre envoyé spécial Le navire, qui pèse 1200 t, disparaît de la surface après une explosion d'origine encore inconnue. Le ministre de la Défense sud-coréen, Kim Tae-Young, après plusieurs déclarations, met finalement en avant la thèse de la torpille. « Le souffle provoqué par une torpille est considéré comme l'une des causes les plus probables, mais différentes autres possibilités sont également examinées », a-t-il déclaré. Cheonan coule dans une zone maritime fort sensible non loin des frontières avec la Corée du Nord. Sont portés disparus 43 marins. Les familles sont inquiètes, l'opinion publique se pose des questions. S'agit-il d'une nouvelle provocation de la Corée du Nord ? La presse conservatrice, dont Korea Times et Joong Ang Daily, s'engouffre dans la brèche et fait monter la pression. Le ministère de la Défense qualifie l'incident de grave pouvant avoir des conséquences sur la sécurité nationale. Et le Premier ministre, Chung Un-Chan, a décrété une « période de deuil national ». Tout ce mouvement semble arranger le président Lee Myung-bak qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2008, a gelé tous les efforts de rapprochement avec le voisin du Nord. Il a même tenté de dissoudre le ministère de la Réunification. Le Parlement s'y est opposé, car le rapprochement avec les Coréens du Nord est une question populaire (des sites internet sont dédiés à cela, tels que « Korea is one »). « Il y a trop de liens familiaux pour qu'on rompe. De toute façon, cette division, le peuple coréen ne l'a jamais voulue. Les vainqueurs de la guerre de 1945 nous l'ont imposée », nous explique un universitaire. Après un long silence, fort commenté à Séoul, Pyongyang a rejeté toute implication dans le naufrage du Cheonan. « Les fous de guerre de l'armée fantoche du Sud et les responsables conservateurs de droite tentent maintenant stupidement de nous impliquer dans la tragédie après avoir échoué à trouver la cause du naufrage », déclare le ministère des Affaires étrangères nord-coréen. L'Australie, les Etats- Unis, la Grande-Bretagne et la Suède ont apporté leur aide pour retrouver les marins disparus, mais ont évité d'accuser ouvertement Pyongyang. Compte tenu de la sensibilité de l'affaire, Washington a envoyé un général à la tête des experts devant aider les officiers sud-coréens à déterminer les causes du naufrage. « Ces investigations vont prendre du temps. Cela dit, la mise en avant de l'incident du Cheonan est liée à des impératifs de politique intérieure de la Corée du Sud. Le pays va organiser, début juin, des élections générales. Il s'agit d'un rendez-vous important pour le gouvernement du président Lee Myung-bak. Le parti au pouvoir veut gagner ces élections », explique Haksoon Paik, chercheur à l'Institut Sejong. The Sejong Institute s'intéresse à la politique intérieure de la Corée du Nord, aux relations intercoréennes, au projet de réunification des deux Corées, aux rapports diplomatiques de la Corée du Nord avec les Etats-Unis et au programme nucléaire de Pyongyong. L'ICUN ou l'Institut coréen pour l'unification nationale, qui est basé à Séoul et qui existe depuis vingt ans, se charge, lui, de préparer les dossiers de la réunification et de rendre irréversible la paix dans la péninsule. Il continue de travailler malgré le gel actuel. ACTE DE GUERRE ? Selon Haksoon Paik, les conservateurs du Grand parti national (GNP), le parti du président Lee Myung-bak, entretiennent la crise avec la Corée du Nord pour l'utiliser lors de la prochaine campagne électorale. Brandir « la menace extérieure » est une redoutable arme politique. Le GNP est sorti renforcé après sa victoire à l'élection présidentielle de 2007. « Cela dit, il risque trop de lier le naufrage du Cheonan à la Corée du Nord, surtout qu'il n'existe pas de preuve et que les Etats-Unis sont prudents », observet- il. Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat américaine, a dit espérer qu'« aucune action ou erreur » ne déclenche une nouvelle guerre entre les deux Corées. Existe- t-il une force extérieure qui cherche à attiser le feu entre les deux pays ? Aucun expert ne veut s'avancer sur cette piste pour l'instant. Accuser ouvertement et officiellement la Corée du Nord d'avoir coulé la corvette Cheonan sera, selon Haksoon Paik, le point de non-retour dans la réconciliation intercoréenne entamée depuis plusieurs années. Park Se- Hwan, président de la Korean Veterans Associations, a, pour sa part, estimé que la Corée du Sud doit revoir de fond en comble sa stratégie de défense. « Le naufrage du Cheonan ressemble à un acte de guerre. L'armée sud-coréenne n'est pas préparée pour y faire face », at- il noté. Quelques jours après l'affaire Cheonan, Pyongyang engage des exercices militaires. Le président Kim Jong n'a pas hésité à dire que l'armée est prête « idéologiquement » à « repousser toute attaque surprise ». Cela ne s'arrête pas là. Séoul accuse Pyongyang de vouloir geler toutes les activités touristiques dans les montagnes de Kumgang après la décision de chasser les employés sudcoréens de cette région. Kumgang, qui culmine à 1638 m et qui change de nom chaque saison, est la plus célèbre montagne de Corée. Les touristes sud-coréens et japonais avaient pris l'habitude, depuis 1998, de visiter la région en se déplaçant par bateau- croisière vers la côte est de la Corée du Nord. Cela donnait beaucoup de travail aux opérateurs touristiques sudcoréens, mais également nord-coréens. Mais depuis juillet 2008, Séoul a suspendu les visites et les promenades. Il y a plus d'une semaine, les services secrets sud-coréens ont annoncé avoir mis aux arrêts deux « espions nord-coréens » qui se seraient introduits dans le pays pour exécuter un dissident, Hwang Jang-Yop, 87 ans, ancien responsable du Parti des travailleurs au pouvoir à Pyongyang.