Lors du 11e vendredi de contestation, marcheurs et observateurs se sont interrogés sur le mode de protestation à adopter pendant le Ramadhan. De l'avis général, ce sont les forums et les débats publics qui ont été prônés. Or, au troisième jour de jeûne, cette activité que l'on promet pendant les soirées n'a pas été palpable. Sur les réseaux sociaux, devenus le premier relais de communication depuis le 22 février, aucune information n'a fait état d'un rassemblement citoyen nocturne. Les «Tribunes des orateurs» semblent avoir du mal à se mettre en mouvement. Et pourtant, elles représentent un prolongement du combat mené pour la liberté et la dignité. Mieux, la liberté de rassemblement public et de manifestation devrait être érigée en droit, selon le collectif Nabni (Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées) qui a lancé plusieurs chantiers pour la refondation de l'Etat : «(…) Nous y proposons de constitutionnaliser ce droit de manière claire et sans ambiguïté. Nous appelons aussi à ce que chaque ville institue un espace d'expression populaire libre, où les citoyens seront libres d'exprimer leurs points de vue et de débattre à tout moment.» Utiliser l'espace public pour communiquer est une nouvelle tradition. Elle a pris forme pendant les vendredis de marche. Plutôt une retombée positive du hirak. Ces tribunes ne sont autres que des espaces matériellement réduits, mais de haute symbolique. Les premières sont apparues à Alger, s'ensuivront d'autres à Oran et Constantine. Elles sont venues consolider la dynamique populaire. Désormais, ce sont deux actions allant de pair, en totale fusion. Puisqu'elles servent un idéal commun, celui de s'émanciper d'un système déliquescent et construire une nouvelle République. Depuis leur apparition, les citoyens s'en sont emparés pour adresser des messages aux détenteurs du pouvoir et à leurs affidés. Les «3B» (Bensalah, Belaïz et Bedoui) étaient les premiers destinataires de ces réquisitoires oraux. Une approche quelque peu intimidante, tant la parole a été longtemps confisquée. Le sevrage auquel a été longuement soumis tout un peuple a rendu l'exercice difficile, voire ardu. C'est place Audin, à Alger, un vendredi, que ce genre de tribunes est apparu. Un préambule à la contestation du jour et à tous ces forums qui seront improvisés par la suite. Les citoyens ont saisi l'opportunité, très belle par ailleurs, pour reprendre les slogans hostiles à une oligarchie, invitée à partir dans toutes les langues, nationales et étrangères. Armés d'un mégaphone, ils se relayeront plus nombreux à chaque vendredi, davantage loquaces. L'effet hirak, c'est aussi une parole libérée, un espace d'expression reconquis. «J'appréhendais la prise de parole en public, mais je l'ai fait avant la marche du 9e acte. Au début, je cherchais mes mots, mais les gens autour de moi m'ont encouragé par leurs regards», nous a confié Hocine, ingénieur à la retraite. GALVANISER LES ASPIRATIONS L'expérience est féconde. Elle a vite trouvé preneur, car indissociable de la lutte pour la démocratie et l'avènement de l'Etat de droit. Et partant, revenir à la période anté-22 février n'est plus envisageable. «Le peuple a bravé la peur, les interdictions de rassemblement et a exprimé ses aspirations, parfois par de simples vocables, mais très explicites. Il n'est pas près de renoncer à cette libération», nous explique Nora Zighed, sociologue. Pour ce faire, la multiplication de ces espaces s'avère être un levier pour la pérennisation de l'action citoyenne, corollaire du mouvement populaire. «Les espaces d'expression sont un socle pour la démocratie, ils consacrent l'affranchissement et la détermination en délivrant des messages communs à une corporation ou un groupe. Pour le cas présent, ce sont des millions de citoyens qui sont concernés par la réappropriation de l'espace public, à même de cristalliser le débat, mais fera émerger des revendications», analyse notre interlocutrice. La nécessité de préserver l'espace d'expression public est soulevée dans le plaidoyer de Nabni qui propose quatre mesures «pour ne plus jamais retourner à l'avant-22 février, et pour pérenniser et célébrer cette reconquête de l'espace urbain par le peuple». A travers ce think tank, il est suggéré de «constitutionnaliser et protéger le droit de rassemblement public et de manifestation pacifique» ; créer des «espaces d'expression populaire libre» dans chaque ville du pays ; pérenniser le «vendredire» et décréter le 4e vendredi du mois de février comme «Journée citoyenne des libertés démocratiques». Les réflexions autour de ce pivot de la démocratie ne seront jamais de trop. Car, c'est dans ces espaces d'expression libre et pacifique que la volonté collective se galvanise et remporte des victoires. Le peuple en a encore besoin face à des velléités de musellement persistantes.