Elles ont rejoint le Hirak, le mouvement de protestation, le 22 février. Elles ont battu le pavé dès le 1er vendredi. Des femmes de tous âges et de toutes conditions sociales arborent les banderoles pour réclamer un changement radical. Quel regard la société pose-t-elle sur la présence féminine restée dans l'ombre ces dernières années? Sont-elles les bienvenues au milieu de ces masses compactes d'hommes ? La protesta que vit notre pays actuellement est-elle l'occasion idoine d'exprimer des revendications pour les droits des femmes, comme initié par les militantes féministes ? Témoignages Zahia, 24 ans «C'est la première fois de ma vie que je manifeste dans la rue. Je suis née sous un régime où les rassemblements étaient interdits. La voix du peuple était étouffée. Etudiante, je découvre le bonheur de manifester avec mes camarades afin d'exprimer des revendications justes contre le système qui nous gouverne depuis toujours. Je sors chaque mardi et également les vendredis. En ce qui concerne le regard posé par la société sur nous, en tant que femmes, je trouve qu'il est positif. Personnellement, je n'ai subi ni mot de travers ni geste agressif de la part des jeunes. Tout le monde a intégré dans sa tête que nous nous battons pour une cause commune et que la guerre des sexes n'a pas lieu d'être. Une solidarité et une communion unit tout le peuple et les femmes n'en sont pas exclues. Au contraire, je ressens une forme de respect envers la gent féminine. En tant que femmes, nous sommes en train de reconquérir ces espaces, longtemps confisqués par les hommes. C'est déjà une belle avancée.» Affaf, 32 ans «Tant que nos revendications sont au diapason avec celles du peuple, nous sommes acceptées dans la rue aux côtés des hommes. Toutefois, la marche du vendredi 29 mars a creusé un sillon et révélé des dérapages. Des militantes féministes qui ont brandi des banderoles pour l'abrogation du code de la famille ont été agressées au centre d'Alger. Leurs affiches ont été déchirées et elles ont été harcelées sous prétexte que le moment était mal choisi pour les revendications égalitaires homme-femme. A mes yeux, cela dénote d'une grande intolérance. Une société ne peut se construire sans prendre en compte l'aspiration des femmes. Les mentalités doivent impérativement changer afin d'instaurer un Etat de droit et de justice sociale. Cela ne peut se faire si la société marginalise les femmes.» Wahiba, 55 ans «En tant que femmes, nous n'avions plus investi les grands boulevards pour des manifestations pacifiques et citoyennes depuis le début des années 90. Avec le Hirak populaire, les femmes sont à nouveau descendues dans la rue, spontanément. J'étais dans le mouvement pacifique dès le 22 février avec mes amies et ma famille. J'ignorais quelle serait la réaction des hommes à notre égard. Il y avait des vieilles, des jeunes femmes, des jeunes filles drapées de l'emblème national. Ce qui m'a frappée, c'est le respect de ces jeunes envers toutes les femmes. Aucun mot vulgaire n'a été prononcé, aucun geste inapproprié n'a été fait. Les femmes sont à nouveau sur la place pour crier leur rejet du système et de la corruption. Hommes et femmes revendiquent plus de justice sociale, de démocratie et de liberté. Je pense que les femmes sont les bienvenues dans l'espace public, à condition qu'elles n'expriment pas des idées féministes. Personnellement, je pense qu'on aura à y revenir plus tard. Notre préoccupation aujourd'hui est de balayer ce régime qui a miné notre pays pendant deux décennies. Nous aurons le temps de débattre, en toute sérénité, de questions liées aux droits des femmes avec la naissance de la deuxième République.» Samia, 39 ans «Ils m'avaient donné à boire quand j'ai eu soif. Ils ont porté mon bébé quand j'étais fatiguée. Ils m'ont secouru lorsque les bombes lacrymogènes m'ont fait vaciller. J'ai marché au milieu de foules masculines sans sentir le moindre signe d'agressivité de leur part. Au contraire. Lors de ces marches, nous les femmes, nous nous sommes senties protégées, respectées et même admirées. La femme a réinvesti l'espace public. Elle fait partie intégrante de la société. Les hommes ne peuvent rien faire sans nous. C'est ensemble que nous devons construire l'Algérie de demain. Le regard de la société est en pleine mutation. C'est le bon côté de ce Hirak. Hommes et femmes, côte à côte, contre la hogra et la dictature. Depuis le 22 février, elles ont gagné du terrain. Des petites filles, des adolescentes, des dames et des personnes âgées battent le pavé, gorges déployées et banderoles brandies dans des marches pacifiques pour dire qu'elles veulent vivre dans une Algérie libre, juste, moderne et respectueuse des droits des femmes.