L'association culturelle du village Takaâts, dans la commune de Tizi Rached, à 20 km à l'est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, a organisé, jeudi dernier, une conférence avec le professeur Hend Sadi, tenue dans une salle archicomble de la bibliothèque municipale portant le nom d'un ancien nationaliste militant berbériste, Ferhat Ali, dit Ali Ou-Mahmoud. Les villageoises et villageois de Takaâts ont été accrochés, pendant près de quatre heures, à l'écoute du Dr Hend Sadi et de Si Ouali Aït Ahmed, ancien officier de l'ALN, président de l'association Tagrawla 1954-1962, ainsi que du président de l'APC de Tizi Rached, en présence d'autres invités. La conférence, suivie de débats, a tourné autour du livre de Hend Sadi, intitulé Mouloud Mammeri ou la Colline emblématique (2e édition), sur les 22 fondateurs, en 1926, de l'ENA (Etoile nord-africaine), parmi lesquels 18 militants étaient originaires de Kabylie, dont Amar Imache, Si Djilani, Belkacem Radjef, etc. Le Pr Hend Sadi ira dans ses pérégrinations jusqu'à la «révolution du sourire» d'aujourd'hui, qu'il qualifia d'«unique en son genre», tant elle a suscité un immense capital sympathie dans le monde. Décryptant l'Indépendance confisquée de l'été 1962 (ouvrage de Ferhat Abbès), le conférencier évoquera par-là même («épaulé» par l'ancien officier de l'ALN dans la Wilaya III historique, Si Ouali Aït Ahmed), le cas de militants berbéristes de la région, fervents du déclenchement de la lutte armée de Libération nationale du 1er Novembre 1954, mais qui seront liquidés au lendemain du Congrès de la Soummam. Leur tort, cette tendance tenace à «dépoussiérer» l'origine identitaire millénaire amazighe de l'Algérie, que les adeptes de l'arabo-islamisme voulaient, coûte que coûte, limiter au VIIe siècle, autrement dit, juste à l'avènement de l'islam en Afrique du Nord. A ces militants nationalistes, notamment Benaï Ouali, Amar Ould-Hamouda, Mebarek Aït Menguellet et Dr Salah Aït Mohand-Saïd, il est réservé un sort tragique. Ensuite, Hend Sadi évoquera les virulentes attaques en 1952 de Mohamed Cherif Sahli, d'Amar Ouzeggane (des Kabyles) et Mustapha Lacheraf, contre La Colline oubliée de Mouloud Mammeri, un roman traitant d'une région de Kabylie et qui venait d'avoir un grand succès auprès de son lectorat francophone, notamment de personnalités et romanciers français, ainsi que de l'écrivain égyptien, Taha Hussein. Les articles critiques, tel celui de Sahli, qu'il intitula La Colline du reniement, ont été publiés dans le journal Le Jeune musulman (en français), fondé par l'Association des Oulémas musulmans algériens, «reprochant» à Mouloud Mammeri ses descriptions littéraires, imagées dédiées aux us et coutumes des populations kabyles. Et dire que, dans ces critiques, aucun des détracteurs de Mouloud Mammeri n'a parlé du refus de ce dernier de recevoir le prix des «Quatre Jurys» attribué à son roman, mais décliné par l'écrivain, car le chèque qui lui était destiné allait être remis par le patron de l'Echo d'Alger, un journal proche du colonialisme français. Hend Sadi relèvera encore le paradoxe des critiques du Jeune musulman, qui «retire» son algérianité au roman de Mammeri, mais l'attribue entièrement à La Grande maison de Mohamed Dib, écrit en français lui aussi et paru à la même période que la Colline oubliée. Il notera ainsi son étonnement : «Ce qui est refusé à la Kabylie de Mammeri par ‘‘Le Jeune musulman'', est accordé à Tlemcen de Mohamed Dib, sous la plume des mêmes détracteurs de l'écrivain anthropologue, auteur du livre L'Opium et le Bâton, adapté en film en 1971 par Ahmed Rachedi.» A signaler par ailleurs que le lot de livres ramenés par le conférencier à l'occasion de cette veillée de Ramadhan, organisée par l'association culturelle du village Takaâts, a été épuisé au cours d'une vente dédicace tenue juste après les riches débats et les réponses des deux conférenciers, H. Sadi et Si Ouali.