Ce matin, comme chaque année à Sétif, s'ébranlera une marche, aussi pacifique que celle de 1945 qu'elle commémore. Elle ira de la mosquée du Faubourg de la Gare, et, après un recueillement sur la stèle de Bouzid Saâl, premier martyr d'une liste longue de dizaines de milliers de noms, rejoindra Aïn El Fouara, 2 kilomètres plus loin. Presque l'itinéraire de la marche historique qui déclencha la répression que l'on sait. Différence notable, celle d'aujourd'hui, comme celles qui la précédèrent, s'achèvera à la célèbre source, surmontée de la statue si chère aux Sétifiens. Ecoulement rafraîchissant d'eau là où fut celui du sang. L'an dernier, dans la foule des marcheurs, avançait, en dépit de son âge, Annie Steiner, valeureuse combattante pour l'indépendance. Cette année, Azzouz Begag sera de la partie.La marche d'aujourd'hui sera suivie de l'inauguration du Salon international des arts plastiques et, l'après-midi, de celle du Salon du livre de Sétif. L'un des animateurs de cette journée, Fayçal Ouaret, architecte et auteur, en commente ainsi le contenu : « Quelle meilleure image pouvons-nous offrir aux martyrs du 8 Mai 1945 que celle d'une ville qui se souvient d'eux à travers la fraîcheur de la peinture, les grâces de la sculpture ou l'érudition du livre ? ». En effet, quel meilleur sanctuaire de la mémoire que l'expression artistique, plus vivante et souvent plus efficace, que bien des leçons d'histoire ? C'est sans doute ce que croit Rachid Bouchareb. Son film, Hors-la-loi, prend le relais d'Indigènes, faisant ainsi le lien entre la contribution des Maghrébins à la chute du nazisme et ce 8 mai 1945, jour de sa capitulation, où des Algériens voulurent participer à l'allégresse mondiale et signifier leur droit à exister. Ils exprimaient leur rejet d'une innommable injustice que l'on ne finit pas de découvrir, comme récemment, dans l'excellente émission de la Chaîne III, Carnet de famille, où les filles Boumendjel relatèrent les discriminations que leur père a connues à l'Ecole normale de Bouzaréah, temple supposé des valeurs républicaines françaises. Alors que leurs condisciples disposaient d'assiettes de céramique, les futurs maîtres d'école indigènes n'avaient droit qu'à des assiettes en fer blanc ! Et, tandis qu'on appelait Monsieur tout élève, on les tutoyait et les interpellait par leurs prénoms, comme des enfants adultérins de Jules Ferry ! Le film Hors-la-loi débute par la marche du 8 Mai, reconstituée à l'identique, et se retrouve, malgré des bruits de casseroles, en sélection officielle du Festival de Cannes qui ouvre ses portes cette semaine. Qu'il obtienne une nouvelle Palme d'or pour l'Algérie n'est pas l'essentiel, bien que rêvé mais improbable. Qu'il réussisse à exprimer un pan sensible de notre histoire et à le faire connaître des jeunes générations d'Algériens, de Français et d'autres terriens, est le plus important. En ces moments, nos pensées iront aussi à l'écrivain sétifien, le défunt Noureddine Abba, qui couvrit en tant que journaliste le procès de Nuremberg avec, sous les yeux, les horreurs du nazisme et, au cœur, la plaie saignante de sa ville et de son pays.