Souvent, pour des raisons sociohistoriques qui restent encore à expliciter, le nom « Alger » a fait la traversée des océans et des continents pour se voir accolé à des œuvres littéraires, picturales et musicales de grande valeur. Parfois même, c'est toute une ville qui s'appropriait ce nom à valeur identitaire comme celle d'Algiers, aux USA. En littérature, la présence de cette appellation à la puissance, ô combien évocatrice, s'est taillée une bonne place dans des œuvres majeures et édifiantes depuis Miguel de Cervantès (1547-1616) jusqu'aux auteurs du XXe siècle. En musique, c'est Giacomo Rossini (1792-1868), qui, apparemment, détiendrait encore le record de la renommée en la matière pour avoir donné à son opéra, composé en 1813, le titre de L'Italienne à Alger. L'art pictural, quant à lui, a, à son actif, des œuvres de référence depuis les croquis de La Casbah réalisés au XVIIe siècle, en passant par le tableau légendaire de René Delacroix, Femmes d'Alger dans leur appartement, jusqu'à Albert Marquet (1875-1947) et autres grands artistes qui se sont inspirés ou ont peint la vieille cité. Le grand peintre italien, Amedeo Modigliani (1884-1920), savait-il quelque chose sur Alger, ou bien, en légendant son célèbre tableau, Almaïsa l'Algérienne, avait-il été guidé par la seule sonorité enchanteresse et évocatrice du nom d'Alger ? Son modèle était-il vraiment d'origine algérienne, à l'image de celui du poète Pierre Louÿs (1870-1925), et de Claude Debussy (1862-1918), qui se seraient inspirés d'une Algérienne portant le nom de Meriem Benattalah à la fin du XIXe siècle ? Apparemment, c'est un modèle rencontré dans le Paris des bohémiens en 1917. On ne peut trancher cette question sinon que cette « Almaïsa » pourrait être une Italienne, ou encore une Algérienne de souche, perdue dans les dédales parisiens de la Première Guerre mondiale, puisque la signification de son nom donnerait, en arabe, « celle qui se dandine ». Pourtant, elle ne « se dandine pas ». Bien au contraire, elle est ce qu'il y a de plus sobre. Pour nous en tenir à l'art pictural, ce qui aurait intéressé Modigliani en prime, c'était bien la forme en tant qu'elle recèle une certaine sensualité, tant recherchée dans ses autres tableaux dans lesquels il avait développé la même thématique, en d'autres termes, la forme longitudinale jusqu'à l'exagération. Ce tableau, ne révèlerait rien de son identité, et du reste, on ne peut donc que spéculer et s'interroger sur le mot Alger qui y figure. L'histoire de la peinture ne dit pas si Modigliani avait fait quelque séjour à Alger à la recherche de la lumière comme Auguste Renoir (1841-1919) ou Edgar Degas (1834-1917). La tuberculose qui le rongeait l'amenait tout juste à aller quérir quelque repos dans sa ville d'origine en Italie. Rossini (1792-1868), par contre, sans quitter son Italie, avait écrit son opéra, L'Italienne à Alger, en obéissant aux exigences sociopolitiques de l'époque. La Méditerranée étant encore dominée à son époque par les Ottomans et il avait choisi de situer son histoire à Alger où son héroïne se devait de se déplacer dans le but de délivrer son amant tombé entre les mains des célébres corsaires. En somme, il y a toute une galerie d'appellations de ce genre, et cela mériterait d'être répertorié et élucidé, dès lors qu'il s'agit là de rentrer en possession de notre identité et de mieux connaître les regards que les autres portaient et portent sur nous. [email protected]