Le Conseil militaire de transition était soupçonné depuis plusieurs semaines par l'ALC de chercher à casser la contestation populaire en multipliant les actes de violence et en montant les islamistes contre les manifestants. Les islamistes sont hostiles à une modernisation politique et sociale du pays. Au Soudan, l'armée a fini par céder à la tentation de réprimer dans le sang le large mouvement de contestation populaire pacifique qui réclame depuis des mois le transfert du pouvoir à un gouvernement de transition civil. Des éléments armés, appartenant, selon divers témoignages, aux Rapid Support Forces (RSF) dépendant de l'armée, ont tué depuis lundi près de 60 civils lors de la dispersion du sit-in de manifestants devant le QG de l'armée à Khartoum. Les blessés se comptent également par centaines. Le Comité des médecins soudanais a accusé les «milices du Conseil militaire de transition d'être responsables de ce massacre». La tuerie a suscité de nombreuses condamnations internationales, notamment de l'Onu, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Norvège et de l'Allemagne. La Chine, appuyée par la Russie, aurait bloqué, hier au Conseil de sécurité de l'ONU, un texte condamnant les morts civiles au Soudan et appelant à cesser immédiatement la violence. Selon diverses sources médiatiques locales, des coups de feu ont encore été entendus hier dans certains quartiers de Khartoum. Assoiffés de pouvoir Les relations entre l'opposition et l'armée ont commencé à s'envenimer après l'échec, le 20 mai dernier, des négociations sur la composition des instances de transition, la junte militaire voulant les contrôler. Les dirigeants de l'ALC avaient alors dénoncé la volonté des généraux d'organiser une transition en trompe-l'œil afin de garder le pouvoir. Une grève générale avait été observée les 28 et 29 mai à travers le pays par le mouvement de contestation pour tenter de faire plier le pouvoir militaire. Plutôt que d'aller dans le sens des revendications de la population, le Conseil militaire de transition, dirigé par le général Abdelfattah Al Burhane, a annoncé, au contraire, mardi, l'annulation pure et simple des mesures convenues avec les contestataires et appelé à des élections dans un délai de neuf mois. En réaction à la répression sanglante du sit-in, l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, avait déjà annoncé lundi interrompre «tout contact politique» avec le Conseil militaire et appelé à «la grève et la désobéissance civile totale et indéfinie» pour «renverser le régime». L'organisation, qui rassemble de nombreux partis et syndicats, a également rejeté l'appel à des élections par le Conseil, qualifié de «putschiste». Elle a en outre réclamé une enquête indépendante «sous supervision internationale autour du massacre» devant le QG de l'armée. Rétropédalage du général al Burhane Devant la pression de la rue et de la communauté internationale qui a appelé à la reprise des discussions, la junte militaire au pouvoir a fini par céder et annuler sa décision de tenir des élections dans neuf mois. Elle a également invité les contestataires à un dialogue sans conditions. Le général Abdelfattah Al Burhane, lors d'un discours retransmis hier à la télévision, a invité à la reprise des négociations. «Nous ouvrons nos bras aux négociations sans restriction, sinon celle de l'intérêt national, pour fonder un pouvoir légitime qui reflète les aspirations de la révolution des Soudanais. Ouvrons tous ensemble une nouvelle page», a-t-il déclaré. Il a dit en outre «regretter ce qui s'est passé à Khartoum lundi» et annoncé l'ouverture d'une enquête par le parquet général. Bien que comptant pourtant parmi les principaux soutiens des généraux soudanais, les Saoudiens ont apparu ne pas assumer la dérive du Conseil militaire de transition. Riyad a ainsi souligné hier aussi «l'importance d'une reprise du dialogue entre les différentes forces politiques soudanaises en vue de réaliser les espoirs et les aspirations du peuple soudanais frère». Au moment où nous mettions sous presse hier, l'ALC n'avait pas encore répondu à l'offre de l'armée. Le Conseil militaire de transition était soupçonné depuis plusieurs semaines par l'ALC de vouloir casser la mobilisation populaire pacifique en multipliant les actes de violence et en montant les islamistes contre les manifestants. Les islamistes sont hostiles à une modernisation politique et sociale du pays. Il y a toujours eu une grande connivence entre eux et l'armée. Les incidents violents impliquant l'armée s'étaient d'ailleurs multipliés ces derniers jours à Khartoum. Trois fusillades avaient éclaté au début de la semaine dans un même quartier, faisant au moins trois morts et plusieurs dizaines de blessés. Dimanche, les militaires avaient attaqué des civils sur Nile Street. Soutenue par l'Arabie Saoudite, l'Egypte et les Emirats arabes unis, l'armée soudanaise semblait décidée à imposer sa feuille de route, quitte à faire basculer le Soudan dans le chaos. Le risque n'est toujours pas écarté.