Wilaya agropastorale, Oum El Bouaghi voit ses parcours disparaître au profit de la culture de l'orge principalement, dont le rendement fluctue avec les conditions climatiques. Mais depuis le début des années 1990, elle semble avoir trouvé la poule aux œufs d'or, au niveau précisément de deux villes, Aïn M'lila et Aïn Fakroun, où la fièvre de l'importation est à son paroxysme. Un créneau d'autant plus inattendu pour la vocation de la région qu'il concerne la pièce de rechange automobile et l'habillement, bien que, selon certains, à l'origine, ces deux villes se distinguent par le fait que beaucoup d'habitants étaient des émigrés et que lors de leurs navettes entre la France et leurs pénates, ils ramenaient déjà plein de produits et autres articles. Par la suite, le trabendo du cabas avait fait rage, et puis, maintenant si l'on compte quelques importateurs travaillant dans la transparence, un autre monde d'affairistes de tout bord fourmille dans ce domaine en hors-la-loi. Si bien que le phénomène de la fraude fiscale devient d'une ampleur importante. Coupes sombres L'estimation des pertes pour le Trésor public durant la période allant de 2000 à 2004, selon Ameziane Aziz, directeur des impôts de la wilaya d'Oum El Bouaghi, s'élève à plus de 8 milliards de dinars. Ce sont des impôts et des taxes constatés qu'on ne peut pas recouvrer, ou ce qu'on appelle dans le jargon approprié des cotes irrécouvrables. Pour en avoir une idée, cela représente l'enveloppe du programme de la relance économique d'Oum El Bouaghi. Ces pertes varient d'une année à une autre, mais on peut estimer une somme moyenne annuelle de 1,75 milliard de dinars. A la direction des impôts, on compte 28 383 contribuables identifiés, pour les personnes physiques, et 2874 autres morales. De ce dernier chiffre, cadre dans lequel activent les importateurs, seuls 1706 sont identifiés. Une soixantaine inscrite au fichier des fraudeurs Comme on le sait, à la suite des investigations effectuées dans le cadre des brigades mixtes (impôts, douanes et commerce), avec la collaboration de la Banque d'Algérie, 39 contribuables ont fait l'objet de suspension de la domiciliation bancaire (23 à Aïn Fakroun, 11 à Aïn M'lila, 4 à Oum El Bouaghi et 1 à Guelma). Outre ces contribuables, une soixantaine vient de faire l'objet de demande d'inscription au fichier national des fraudeurs et risque la suspension de la domiciliation bancaire. A Aïn Fakroun, l'on compte 22 importateurs qui activent dans un cadre légal et réglementaire et, sur les 599 inscrits, le reste est informel. A Aïn M'lila, les personnes morales activant dans un cadre réglementaire sont au nombre de 87 importateurs et 45 importateurs-producteurs. L'agressivité ou la cupidité des faux importateurs informels est telle que même les condamnations dont, depuis 2001, ont fait l'objet certains d'entre eux, précisément 137 personnes, allant de 18 mois à 10 ans, n'ont pu les arrêter. C'est dire l'effet de l'appât du lucre. Malgré une panoplie de lois régissant l'importation, et par-là même prévenant la fraude, les faux importateurs continuent à activer et passent aisément à travers les mailles du filet. Chasse aux flibustiers Un ancien faux importateur, qui louait un registre, nous a parlé de la tchipa, du sachet bourré de billets de banque qui fait ouvrir la porte de Sésame. Pour d'autres, les jugements complaisants au niveau des tribunaux ne font qu'encourager encore les fraudeurs. Aussi, selon le directeur des impôts, une réunion a été tenue, il y a une semaine sous l'égide du wali, en présence du directeur du commerce, du divisionnaire des douanes et des représentants de la gendarmerie nationale et de la sûreté, où la relation de travail entre ces structures a été débattue ainsi que la détermination des responsabilités de chacune d'elles. Un programme a été tracé, contenant deux points essentiels : le contrôle de la facturation au niveau des contrôles routiers (police, gendarmerie et douanes) et l'origine de la marchandise. Mesures drastiques Un autre point, selon la loi de finances de 2004, concerne le droit de visite, donné par le législateur aux agents du fisc, des domicile et magasin des contribuables sous le contrôle de la justice. Ayant regroupé, sous l'égide du procureur général, les directeurs des impôts des wilayas de Khenchela, Oum El Bouaghi et l'ensemble des procureurs de la République des deux wilayas, une deuxième rencontre a eu lieu dernièrement au parquet général. Le droit de visite et la fraude fiscale (la plainte des impôts déposée auprès du procureur) étaient les thèmes débattus. Il était question des preuves devant convaincre les magistrats quant à la fraude fiscale, car, comme on le sait, le délit de fraude est difficile à justifier par rapport à celui du droit commun. On prend pour exemple la location du registre du commerce. Comment peut-on arriver au vrai bénéficiaire de l'importation ? D'autant plus que les deux parties (l'importateur et le propriétaire du registre) agissent par le biais du transitaire. A la Direction du commerce, concernant les faux importateurs, et dans le cadre du comité de coordination, « l'impunité tend à diminuer », nous dira Aïb Lakhder. Lors des contrôles effectués dans le cadre des brigades mixtes, l'on a enregistré un milliard de dinars de défaut de facturation durant l'année 2004. Les deux derniers mois, janvier et février 2005, il est question de 70 millions de dinars de défaut de facturation concernant neuf importateurs ; deux copies des PV dressés iront à la direction des impôts pour redressement fiscal et à la justice pour d'éventuelles poursuites judiciaires. Bien entendu, les incidences de ces pratiques illégales sont nombreuses et non moins dangereuses pour l'économie nationale.