Magnifique peuple soudanais ! Son amour pour la démocratie et la liberté lui vaut d'être puni par la junte militaire qui s'est emparée du pouvoir après avoir destitué le dictateur Omar El Béchir. En moins de 24 heures, 108 civils ont été tués et 66 autres blessés par des paramilitaires de l'armée. Un massacre inattendu, d'autant que les militaires soudanais ont donné l'impression d'éprouver de la sympathie pour les manifestations populaires, qui ont démarré en décembre de l'année dernière. Effectivement, des émeutes ont éclaté à cette époque contre la vie chère et surtout l'augmentation du prix du pain. Omar El Béchir, recherché par toutes les polices du monde, sauf celles du tiers-monde, pour «crime contre l'humanité» (il avait ordonné le massacre de plusieurs milliers de personnes dans le Darfour), fait la sourde oreille alors qu'il a pillé l'argent du Trésor (on aurait découvert 5 milliards de dollars dans son palais). Le quartier général de l'armée, devant lequel avaient campé les citoyens, finit par sortir de sa neutralité et destitue le criminel et l'emprisonne ensuite. Personne n'a versé une larme. Et pour cause ! En février 2019 – une belle proximité avec le début du hirak – les émeutes du pain se transforment en insurrection politique dirigée par plusieurs partis, réunis dans l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC). Au fil des semaines, les manifestations prennent de l'ampleur avec une détermination qui ne fait peur qu'aux ennemis de la démocratie et du changement. L'armée, qui au départ n'a pas voulu s'immiscer dans les événements et a même protégé les manifestants agglutinés devant son quartier général, a commencé à interférer dans la situation après le limogeage de Omar El Béchir le 11 avril 2019. Bizarrement, après le coup d'Etat, le Soudan reçoit une aide de 3 milliards de dollars de l'Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis. L'armée soudanaise a une histoire particulière. En 1973, le dictateur de l'époque, Jaafer El Noumairi, impose au pays la charia dès la même année, une initiative rapidement soutenue par l'Arabie Saoudite. Depuis, l'armée soudanaise a une formation politique en conséquence, au point qu'avec le temps, elle finira par être protectrice d'Oussama Ben Laden et créera des camps d'entraînement pour le GIA algérien. Son parcours est tel que cette armée n'est plus en mesure d'accepter un système démocratique. C'est ce qui explique qu'elle est entrée en conflit avec la société civile dès que celle-ci, dans son programme, a précisé qu'elle ne veut plus de la charia. D'où la rupture des relations entre les deux parties, d'autant que trois pays, l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis, ont exercé des pressions sur le pouvoir pour qu'il ne fasse pas de concessions. Les trois pays ont peur que la réussite du mouvement démocratique devienne un exemple pour leurs peuples respectifs, avec pour conséquence la chute des régimes dictatoriaux et monarchiques. Il est à remarquer que l'armée a déclenché la répression sanglante après le déplacement du chef de la junte, le général Abdel Fattah Al Burhan, à La Mecque, où il avait assisté aux sommets de la Ligue arabe et de l'OCI. Incontestablement, il est retourné dans son pays avec une feuille de route qui n'augure rien de bon pour l'avenir du Soudan. Les temps sont durs pour les peuples arabes. Le sang a coulé à Khartoum et rien ne dit que cela va s'arrêter.