A mesure que les semaines passent, les lignes de clivage se durcissent et les options mises sur la table sont de plus en plus irréconciliables. Une forte pression s'exerce sur le mouvement populaire pour le contraindre à abandonner le travail de démantèlement du système politique. Sur une ligne de crête courte et étroite, l'Algérie qui vit depuis quatre mois au rythme d'une insurrection citoyenne inédite tangue entre l'aspiration démocratique et la tentation autoritaire. Déterminés, les Algériens poussent avec force et vigueur dans le sens de l'émancipation, et sur leur chemin ils brisent les derniers remparts d'un régime politique passéiste. Pourtant, l'immense espoir suscité par le gigantesque soulèvement populaire dans un élan de communion retrouvée rencontre d'incompréhensibles fortes résistances. La façade politique du système brisée, le pouvoir apparaît sous sa nature réelle incarnée par l'armée et son haut commandement qui multiplie manœuvres et agissements pour détourner le cours de l'histoire de sa trajectoire. D'évidence, il freine des quatre fers une incompressible insurrection portée par d'irréductibles citoyens. Le chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, en première ligne depuis la déposition de Abdelaziz Bouteflika, tente d'imposer avec sévérité la marche à suivre. Aux prétextes d'attachements viscéraux à la Constitution, il défend contre vents et marées un agenda politique aussi flou qu'imprécis qui ne suscite aucune adhésion politique, y compris chez les plus conciliants. Le tout accompagné d'une rhétorique pour le moins agressive et d'une culture militariste poussée jusqu'à la caricature qui s'installe dans le paysage. A mesure que les semaines passent, les lignes de clivage se durcissent et les options mises sur la table sont de plus en plus irréconciliables. Une forte pression s'exerce sur le mouvement populaire pour le contraindre à abandonner le travail de démantèlement du système politique. Impossible. Il est tellement énorme qu'il ne peut être enfermé dans une boîte, comme le propose le chef de l'armée à marche forcée. Résilient, le peuple du vendredi montre de plus en plus des signes de solidité militante et surtout de lucidité politique. Il n'entend pas lâcher sa révolution au milieu du gué, mais est résolu à parachever son œuvre. Entre les deux camps, l'épreuve de force est engagée. La hideuse séquence algéroise du 19e vendredi de la révolution démocratique, caractérisée par un marquage policier serré des manifestations, était l'un des signes inquiétants, annonciateurs de la tournure que peuvent prendre les événements. Elle témoigne manifestement d'une perte de sang-froid d'un pouvoir acculé. La confrontation, qui jusque-là demeure pacifique, risque de se radicaliser. Il y a comme une velléité chez le pouvoir à l'entraîner sur le terrain de la radicalité. Alors que la dynamique citoyenne lancée depuis le mois de février ouvre le champ des possibles et surtout se propose en solution. Elle réinvente l'Algérie de demain. Sur son chemin, elle libère le pays des pesanteurs d'un système qui abîme. Portée par la majorité des Algériens, la révolution de février ne se pose pas en obstacle, encore moins en problème à résoudre. Elle est loin d'être une menace, mais une garantie pour tous. C'est une force positive qui tire vers le haut. S'employer à la transformer en crise serait périlleux pour tous, préviennent acteurs politiques et sociaux. Ceux qui marchent depuis ces journées historiques ne s'épuisent pas. Inlassables, ils avancent dans une éthique de raison vers la victoire, et ce, malgré la réactivation des vieux démons et l'inoculation dans le corps national des virus de fracture. La tentation de la contre-révolution et les forces de résistance à l'œuvre sont l'un des combats d'arrière-garde. Comme le système à qui il tente de prolonger la durée de vie, le pouvoir dans son expression actuelle est tout aussi fini. Dans l'esprit comme dans les méthodes. Définitivement disqualifié par les successifs référendums populaires depuis le 22 février, mais surtout en dehors des temps politiques modernes, le pouvoir assumé par les héritiers de Bouteflika est condamné à suivre le même rythme imprimé par les Algériens qui cheminent vers le futur. Ses détenteurs doivent retrouver le sens de l'histoire. Sinon, ils seront confrontés à d'autres types de difficultés aussi majeurs qu'insurmontables. L'échéance fatidique du 9 juillet approche et s'achèvera avec elle la légalité constitutionnelle. Le pouvoir qui enchaîne les ratages politiques sera dépourvu de la légitimité et dénué de légalité. Isolé politiquement au plan intérieur, il apparaîtra complètement affaibli au niveau international. Une double impasse porteuse de beaucoup de dangers pour tout le pays. La péremption constitutionnelle induit une fragilité considérable. La tentation de légitimation par la force brutale serait fatale. Aucun facteur ni politique ni stratégique, interne ou externe ne milite pour la restauration autoritaire. L'Algérie n'est pas l'Egypte. Rien de comparable dans les deux expériences. Il est quasi impossible d'opposer au sourire qui caractérise la révolution démocratique le feu et la fureur des bottes et des chars. Une autre voie reste possible. Elle est à portée de main. Elle réside dans cet espoir d'une négociation sérieuse avec les élites politiques et sociales qui s'affairent à offrir une sortie par le haut. Entre le 4 juillet – élection présidentielle annulée – battu en brèche par des millions d'Algériens et le 9 juillet qui sonne la fin de la légalité constitutionnelle – terme du mandat du chef de l'Etat – se situe le rendez-vous avec l'histoire chargé de puissants symboles. Le vendredi 5 juillet, jour de l'Indépendance, peut et doit être l'ultime chance à saisir. Une journée de libération, une fête à ne pas gâcher. – Lakhdar Bourgaâ arrêté Figure de la révolution, le commandant la Wilaya IV historique Lakhdar Bourgaâ aurait été arrêté hier à son domicile. Deux individus se seraient présentés chez lui vers 14h, l'auraient emmené vers un lieu inconnu. L'information a été donnée par le militant Fodil Boumala. «Deux individu se sont présentés chez Ammi Lakhdar avant de le conduire à bord d'un véhicule banalisé vers un endroit inconnu, il était injoignable jusqu'à une heure tardive avant de prévenir sa famille qu'il était chez les services de sécurité», indique M. Boumala, ami du chef historique, sans préciser les raisons de cette arrestation. A l'heure où nous mettons sous presse, le sort de Lakhdar Bourgaâ demeure inconnu. Figure de la Guerre de Libération nationale, M. Bourgaâ était un opposant irréductible au régime sous ses différents dirigeants, et très impliqué dans la révolution démocratique en cours dans le pays. H. O.