Le projet de loi criminalisant le colonialisme français en Algérie est remis, une fois de plus, sur la table. Des associations de la société civile : les fondations Cheikh Bouamama, El Mokrani et 8 Mai 1945 ainsi que l'Instance algérienne pour le combat contre l'esprit colonial ont décidé d'agir en saisissant par écrit le premier magistrat du pays afin de lui faire part, d'une part, des tergiversations du Parlement et du gouvernement par rapport à cette question et de lui demander, d'autre part, de faire aboutir ce texte de loi. Boukherissa Kheireddine, président de la fondation du 8 Mai 1945, pense que les propos des uns et des autres sur le parcours d'un texte de loi incriminant le colonialisme jettent le doute sur l'avenir, non pas du texte lui-même, mais sur celui de la nation toute entière. « La légèreté avec laquelle est traité un tel événement marquant pourtant un tournant politico-historique dans la prise en charge des questions mémorielles relatives aux contentieux algéro-français exprime à plus d'un titre la déliquescence du système politique algérien », a déploré notre interlocuteur, qui estime que l'initiative des parlementaires algériens ne relève nullement de la surenchère. M. Boukherissa regrette l'image que reflète le comportement de notre gouvernement. Un comportement qualifié de « dédain » à l'égard du peuple. « Cette première expérience parlementaire qui consacre l'exercice démocratique et l'usage des prérogatives allouées par la Constitution semble déranger le pouvoir exécutif, les relations Parlement-gouvernement et les questions liées à la mémoire, notamment quand il s'agit d'incriminer la France », a lâché le porte-parole de la fondation. Ce dernier ne ménage pas l'Exécutif qui, de son avis, « fait à sa guise » et le parlementaire qui fait dans « la politique de l'autruche ». Notre interlocuteur s'est interrogé : « Faudrait-il courageusement décider de réviser encore une fois ce texte fondateur, ou ne serait-il qu'un paravent qui sert de bouclier aux intérêts politiques des uns et des autres ? » Il rappelle dans la foulée que les délais prescrits sont largement dépassés. Le gouvernement devait répondre avant la date du 24 avril 2010. La Constitution comme la loi organique sont claires sur la question du dépôt et transmission des projets ou propositions de loi. L'article 119 de la Constitution est complété par la loi organique 115, laquelle stipule, dans son article 23 suivi de l'article 25, que « lorsque le gouvernement n'a pas formulé d'avis à l'expiration du délai de deux mois, la proposition de loi est renvoyée par le président de l'APN pour examen devant la commission compétente ». M. Boukherissa est persuadé qu'aujourd'hui la balle est dans le camp de l'Assemblée, mais étant donné que l'APN semble fuir ses responsabilités et le gouvernement ayant déclaré son incompétence à décider du sort de ce texte, les associations et acteurs de la société civile, loin de toute coloration partisane ou politique quelconque, ont été contraints de recourir à l'arbitrage du président de la République. Dans leur missive adressée au chef de l'Etat, ces associations sollicitent M. Bouteflika pour qu'il adopte le projet de loi portant criminalisation du colonialisme. Sa concrétisation, selon les signataires de la lettre, traduirait la volonté de cimenter la continuité de la mémoire entre la génération de Novembre et la génération de l'indépendance. « Nous espérons réveiller en vous l'esprit du valeureux moudjahid afin de permettre à cette loi de reprendre son cours normal, parce que nous avons pressenti des obstacles et des tergiversations qui ne servent en aucune manière l'intérêt national, risquant de porter préjudice à la mémoire nationale par la mise à l'ombre de ce projet, hypothéquant même l'avenir de cette grande nation », lit-on dans la lettre. Les initiateurs de ce courrier exhortent le premier magistrat du pays à user de ses prérogatives afin de ne pas priver la mémoire nationale de son droit légitime aux revendications d'excuses à arracher à l'ancien colonisateur, à l'instar des autres peuples qui ont adopté la même démarche avec succès. « Nous demeurons convaincus que vous n'hésiterez pas à tout mettre en œuvre pour assurer le succès de ce projet qui, du reste, est le vôtre, du fait que vous avez été le premier à demander à l'Etat français la reconnaissance de ses crimes en Algérie et d'en demander pardon auprès du peuple algérien », rappellent, au chef de l'Etat, les représentants des associations et des acteurs de la société civile.