Le Conseil des ministres vient d'adopter le programme d'investissement public 2010-2014, il est de l'ordre de 286 milliards de dollars. Le montant est astronomique. Qu'en pensez-vous ? Effectivement, c'est une somme importante. Je n'ai malheureusement pas d'information sur la méthode d'estimation de ces sommes et quels programmes vont-elles financer. Il s'agit d'une moyenne de dépenses annuelles de 57 milliards de dollars. Pour la réaliser, il faudrait un prix du baril de pétrole supérieur à 100 dollars, puisque les recettes de la fiscalité pétrolière se sont situées à 60 milliards de dollars en 2008 pour un prix de baril à 100 dollars et ces recettes financent aussi 40% du budget de fonctionnement. Se pose également la capacité d'absorption de ces dépenses. En 2008, le budget d'équipement se situait à 30 milliards de dollars ; il s'agit donc du double ! J'attire l'attention sur la gravité pour l'avenir de la nation de vouloir compenser la baisse des prix des hydrocarbures par une augmentation irresponsable de la production. Egalement le péché de la diminution de la vigilance et de la prudence. De même, les investissements excessifs et imprudents qui débouchent sur la corruption. 130 milliards de dollars sont consacrés au « parachèvement » du précédent programme, pourquoi une telle rallonge budgétaire, selon vous ? C'est toute la question de la capacité d'absorption, malgré le recours massif à l'assistance étrangère. D'ailleurs, un tel programme n'est-il pas incompatible avec la volonté affichée de réduire les importations ? Visiblement, l'Etat n'a pas changé de politique économique, l'on continue à privilégier l'investissement dans les infrastructures de base. L'urgence aujourd'hui n'est-elle pas ailleurs ? Sûrement. J'ai déjà appelé, plus d'une fois, à compléter les investissements dans les infrastructures par des investissements productifs du secteur privé national. Compte tenu de l'origine de l'épargne publique (les hydrocarbures), il est permis d'en adresser une partie au financement à crédit des investissements privés avec des conditions avantageuses. Le succès de la croissance économique se situe dans une alliance stratégique entre le gouvernement et le secteur privé. Parce qu'alors, ce secteur réalisera les objectifs tracés par le gouvernement avec l'efficacité de l'entreprise privée. Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont fait que malgré la manne financière et les différents plans, le pays n'arrive toujours pas à sortir de la dépendance de la rente pétrolière ? Parce que les ressources naturelles (les hydrocarbures) sont mises au service de la malédiction au lieu d'être orientées vers la bénédiction. C'est alors le paradoxe de la richesse financière qui mène vers la stagnation économique et l'instabilité politique. Les autorités utilisent le revenu pétrolier pour alléger les pressions sociales, qui, autrement, mèneraient vers des demandes plus fortes d'imputabilité (moussa'ala). C'est le chemin du patronage qui réduit les pressions sur les réformes et la panne de celles-ci. On se trouve avec une classe de rentiers et des institutions qui deviennent des canaux pour des finalités distributives.