Le gouvernement vient de décider de mettre à nouveau le paquet pour le développement économique par l'infrastructure. Une enveloppe de 286 milliards de dollars va être débloquée pour les besoins de financement des projets de l'actuel quinquennat. Quelle est votre lecture ? Ce plan quinquennal d'investissement public était attendu, mais ce qui l'était moins, en revanche, c'est l'ampleur du programme, dont le coût a été doublé par rapport au précédent programme. Par conséquent, il y a une série de problèmes qui se pose : est-ce que les enseignements et les bilans de l'exécution des précédents programmes ont été tirés. J'entends dire par là l'utilisation des moyens nationaux en matière des services et des biens. Le second questionnement est celui de savoir si ces projets présentés ont été sérieusement maturés. En revanche, ce que je retiens de positif : c'est la prise en charge dans ce programme du capital humain, à travers la formation et l'éducation et, de façon plus générale, le volet lié à la connaissance. Le programme témoigne aussi d'un nouveau soutien aux PME et aux entreprises publiques qui viennent d'avoir un gros marché. Ces décisions montrent qu'il y a eu un certain nombre d'enseignements qui ont été tirés de l'exécution du précédent programme. Cela s'explique par le fait qu'il y a maintenant des enjeux beaucoup plus importants et des budgets aussi volumineux qui sont engagés également. Il y a aussi la question de l'exécution qui se pose en toile de fond, puisque le champ d'intervention des entreprises publiques vient d'être élargi. On peut dire par là, et je suis convaincu de cela, que les hydrocarbures ne sont pas finalement une malédiction, de l'avis de certains. C'est plutôt une chance historique pour gagner les défis économiques auxquels l'Algérie est confrontée. Le dernier aspect, que je voudrais évoquer, est celui lié à la volonté de créer un marché de l'immobilier solvable et la création d'emplois, mais il faudrait que cela se fasse par la mobilisation de la main-d'œuvre et les compétences locales. Une enveloppe complémentaire de 130 milliards de dollars va être allouée aussi au « parachèvement » des projets du précédent quinquennat, alors que le budget de ces mêmes projets était décidé au préalable. Ne pensez-vous pas que les surcoûts et la réévaluation des projets sont en mesure de faire perdre à l'Etat des sommes importantes qu'on aurait pu économiser ? C'est une question qui s'impose et qui mérite d'être posée, car il est nécessaire de parvenir à une maîtrise des coûts et des délais de réalisation des grands projets. Je crois qu'il faut tirer les enseignements nécessaires des précédentes opérations, de façon transparente et publique, pour bien maîtriser les coûts et les formules de réalisation et afin de parvenir à la méthode la plus optimale. Il y a eu des efforts qui ont été consentis au niveau du ministère des Finances pour améliorer la dépense publique, à travers la création, à titre d'exemple, de la caisse de développement des infrastructures pour avoir des programmes pluriannuels à suivre à maturation. Il faut développer, à mon avis, les capacités d'ingénierie locales qui deviendront une priorité en matière d'estimation des coûts et des délais de réalisation des projets. Il faut aller aussi vers le développement des entreprises locales en matière d'ingénierie, de génie civil et de construction et de ne pas se contenter d'avoir une ou deux entreprises nationales qui participent aux grands projets. Il est impératif de privilégier aussi la concertation avec les opérateurs pour voir quels sont les méthodes de travail appropriées et les mécanismes qu'il faut mettre en place. Faut-il réhabiliter aussi les organismes de contrôle pour le suivi, l'évaluation des projets et l'affectation du budget ? C'est ce qu'on appelle en anglais le « monitoring », c'est-à-dire qu'il faut avoir des capacités d'évaluation et de suivi. Il est ainsi nécessaire d'avoir les compétences et les outils d'ingéniering qui puissent faire à la fois la décomposition des projets, l'évaluation et le suivi des différentes séquences de réalisation. Je reviens à ce que j'avais dit en estimant que le pétrole n'est aucunement une malédiction, car c'est une chance pour parvenir à diversifier l'économie, en faisant attention à l'inflation et en liquidant les rentes perverses qui empêchent l'émergence d'une économie productive. Ce sont des questions qu'il faut traiter au plan politique. Je ne pense pas qu'on ait pris conscience sérieusement de ce problème qui est à l'origine d'une corruption sous diverses formes. Pour pouvoir lutter contre la corruption, il faut mettre en place des outils de transparence pour l'évaluation des flux monétaires face aux réalisations physiques. La transparence budgétaire est insuffisante jusqu'ici, car il faut des études détaillées technico-économiques et financières pour calculer les coûts de chaque projet, d'abord, et faire ensuite le suivi réel sur le terrain de sorte à ce qu'il y ait une plus grande transparence. Il faut avoir aussi une administration économique intelligente non bureaucratique. Là aussi c'est un enjeu majeur pour pouvoir réaliser les objectifs escomptés par cet ambitieux programme d'investissement public.