Le scénario et les accusations sont quasiment identiques. Le dénouement le sera-t-il également ? Trois mois après la révolution orange en Ukraine, une révolution jaune s'est déclenchée, jeudi, au Kirghizistan. Grâce à une large mobilisation de la rue, à Bichkek, la capitale, l'opposition est parvenue à prendre le pouvoir en prenant d'assaut la présidence de la République, symbole du pouvoir. Les sièges du gouvernement et de la télévision nationale sont, eux aussi, tombés entre ses mains. La partie semble bel et bien perdue pour le président déchu Askar Akaïev, qui a démenti les informations faisant état de sa démission et dénoncé un « coup d'Etat ». Après la désignation par le Parlement de Kourmanbek Bakiev, l'un des principaux leaders de l'opposition, celle-ci a annoncé la tenue d'une élection présidentielle dans trois mois, conformément à la Constitution. Avec Askar Akaïev, la Russie perd un autre allié dans l'ex-bloc soviétique, après Chevarnadze en Géorgie et Koutchma en Ukraine. La Russie, qui accuse les Etats-Unis de ne pas être étrangers à ces révolutions, notamment pour avoir financé l'opposition, n'entend pas pour autant perdre « ses » pays satellites. « Il est regrettable que dans un des pays de l'ex-URSS, le conflit ait été réglé de manière illégitime (...), mais nous espérons que dans l'avenir nos relations se développeront de façon positive pour le bien des peuples russe et kirghiz », a déclaré, hier, le président russe Vladimir Poutine, tout en soutenant que son pays se proposait d'accueillir le président Akaïev. « Nous espérons que les leaders de l'opposition prendront la situation sous contrôle le plus vite possible », a-t-il ajouté. Si les élections législatives de février dernier, entachées de fraude massive, selon l'opposition, ont été le détonateur, les signes d'un soulèvement de la rue au Kirghizistan sont bien antérieurs. Ces dernières années ont été marquées par un affaiblissement du pouvoir d'Askar Akaïev et une popularité croissante de certains acteurs de l'opposition, notamment l'ancien général et ministre de la Sécurité Félix Koulov. Représentant un challenger sérieux en prévision des élections, M. Koulov a été arrêté en 2002. L'arrestation d'un autre outsider, Azimbek Beknazarov, avait déclenché des émeutes en mars de la même année. Libéré de prison jeudi dernier, Félix Koulov a été chargé par le Parlement de diriger par intérim les forces de sécurité du pays. Si Washington a officiellement dégagé hier toute responsabilité dans cette crise, les déclarations de son ambassadeur au Kirghizistan, Stephen Young, attestent du contraire. Intervenant récemment sur la chaîne de télévision américaine CNN, Stephen Young a en effet soutenu : « J'ai parlé avec plusieurs de mes collègues de l'ancienne opposition qui tentent d'intervenir et de jouer un rôle afin de stabiliser la situation. Je me réjouis à l'avance de travailler avec eux dans les prochains jours (...) Ce qui se passe concerne le peuple kirghiz et ses décisions et les Etats-Unis sont fiers d'avoir un rôle de soutien dans cela. » Le diplomate américain a indiqué que son pays et la Russie avaient dans la région des « intérêts concordants », notamment la lutte contre « le terrorisme ». Les interventions de Washington ont tendance à exaspérer Moscou, qui veut en limiter la portée dans toute la région. Le Kirghizistan a été le premier pays dans cette région à accepter d'abriter, en 2001, une base militaire sur son territoire, officiellement en raison de la situation en Afghanistan. Moscou a exprimé au début du mois en cours, par la voix de son chef de la diplomatie, son refus de voir stationner sur cette base des avions de reconnaissance de type Awacs. Sergueï Ivanov a également rejeté toute idée d'installation de bases militaires américaines en Géorgie. « Nous n'en voyons pas le sens », a-t-il sèchement répliqué.