Le directeur de l'Agence nationale de réalisation et de gestion de la Grande Mosquée d'Alger a déclaré, selon le journal El Moudjahid, que le coût final de la construction du projet s'élève à 1,5 milliard de dollars. Le dépassement par rapport au coût initial qui avait été annoncé 1 milliard de dollars est de 500 millions de dollars, soit 50% du coût global de l'investissement, ce qui est important. Dans des conditions normales, un tel surcoût aurait déclenché une post-évaluation du projet. L'inexistence dans notre pays d'une structure assurant cette fonction est un obstacle pour engager l'opération. Il est à souligner que la plupart des pays se sont dotés de la structure en question. Il y a trois ou quatre années, une proposition a été faite aux autorités pour établir en Algérie une instance à laquelle serait confiée la mission d'effectuer la post-évaluation des projets d'investissement financés par les fonds publics, qu'ils soient des projets d'infrastructure économique, sociale, culturelle ou des projets d'investissement productif. La proposition n'a pas été retenue et n'a donné lieu à aucune suite. Pourtant, la mise en place d'une telle instance aurait été un premier pas qui aurait été suivi par la création de structures similaires au niveau des grandes entreprises qui réalisent régulièrement des projets d'investissement comme Sonatrach, Sonelgaz, la Société nationale des chemins de fer, etc. 1- L'utilité de la post-évaluation La post-évaluation constitue maintenant une partie essentielle du cycle du projet d'investissement et elle est son étape finale. Elle est pratiquée par toutes les institutions financières multilatérales qui financent des projets de développement. Elle intervient généralement deux ou trois ans après l'achèvement du projet et son entrée en activité. De la sorte, l'équipe multidisciplinaire chargée d'effectuer la post-évaluation ne se limite pas à vérifier si les délais et le coût de réalisation sont conformes à ce qui était prévu, si les contrats ont été passés dans des conditions régulières… Elle s'assure également que toutes les fonctions sont exercées, que les capacités retenues sont pleinement utilisées, que les performances programmées se réalisent… Les délais écoulés après la finition du projet permettent ce genre de vérification. La post-évaluation se présente ainsi comme un examen complet de tous les aspects relatifs à l'exécution du projet d'investissement et à sa mise en activité. Elle relève les anomalies, les insuffisances, les malfaçons… et recherche les causes qui sont à leur origine, elle détermine de cette façon les responsabilités. Des enseignements sont en outre tirés à l'occasion de chaque post-évaluation et servent à améliorer la conception et la réalisation de nouveaux projets, d'une part. D'autre part, l'existence de structures chargées de la post-évaluation oblige ceux qui sont désignés pour exécuter les projets d'investissement à conserver tous les documents liés aux opérations effectuées dans le cadre de l'exécution pour qu'ils servent lors de la post-évaluation et les incite à être plus vigilants puisqu'ils auront à rendre des comptes. L'utilité de la post-évaluation est incontestable en tant qu'instrument de vérification de la bonne utilisation des ressources affectées à la réalisation des projets d'investissement. Elle seule permet de s'assurer que les objectifs programmés ont été atteints ou non, c'est ce qui explique son adoption par la plupart des pays, par les institutions multilatérales et par les grandes entreprises. Il est temps qu'une décision soit prise en Algérie pour mettre en place des services ayant pour mission la post-évaluation des projets d'investissement. Ces services peuvent devenir rapidement opérationnels avec l'assistance de la Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou la Banque islamique de développement. Il est souhaitable que la décision en question intervienne rapidement. 2- La post-évaluation de la Mosquée d'Alger En l'absence en Algérie de services chargés de la post-évaluation, une équipe de l'Inspection des finances du ministère des Finances, renforcée par des éléments de la Cour des comptes et du ministère des Travaux publics pourrait entreprendre les investigations nécessaires. Il a été indiqué ci-dessus que la post-évaluation est effectuée habituellement deux ou trois ans après l'achèvement du projet, mais lorsque des anomalies graves et flagrantes sont relevées, comme dans le cas de la Mosquée d'Alger, l'opération est scindée en deux étapes distinctes : a) La première étape est celle que doit effectuer l'équipe mentionnée ci-dessus. Elle consiste à examiner pourquoi les délais de réalisation n'ont pas été respectés. Si les retards sont imputables à l'entreprise chargée de l'exécution du projet, il convient de lui imposer le paiement des pénalités de retard, telles qu'elles devraient être fixées dans le contrat d'exécution. Il s'agit aussi de préciser : les différentes composantes du coût initial et celles qui sont à l'origine du surcoût. Les 500 millions de dollars qui représentent le surplus ont-ils été nécessaires pour permettre l'achèvement du projet, ont-ils constitué des dépenses régulières et justifiées ou auraient-ils fait l'objet en totalité ou en partie de malversations éventuelles ? Etant donné l'importance de la somme, il est légitime de se poser toutes les questions, et c'est ce que devrait faire l'instance chargée des investigations. Celle-ci doit vérifier également s'il n'y a pas eu de malfaçons et si tous les contrats passés l'ont été d'une manière régulière. Il est dit que «la Mosquée bénéficie de nombreuses techniques innovantes en matière de technologies de pointe qui n'ont jamais été utilisées auparavant». Est-ce que ces techniques innovantes vont contribuer à rendre les installations plus viables et plus pratiques, ou s'agit-il de gadgets coûteux et complexes dont l'utilisation et l'entretien seront difficiles et qui finiront par ne servir à rien ? L'ensemble du projet est énorme. Il comprend, outre la salle de prière, un Institut supérieur de formation, une maison du Coran, un centre culturel, une bibliothèque, deux centres de recherche, un musée d'art et d'histoires islamiques, des locaux commerciaux, un restaurant et un parking d'une capacité de 6000 places. L'équipe d'inspection aura à vérifier si toutes les unités de ce complexe vont pouvoir recevoir les moyens nécessaires à leur fonctionnement et si les conditions sont réunies en vue d'assurer un démarrage effectif des activités. Il est certain que la Mosquée aura besoin de sommes très importantes pour couvrir les frais de son fonctionnement (il est question entre autres de recruter d'ores et déjà 600 travailleurs permanents) et pour équiper les centres d'études, la bibliothèque, le musée… Les fonds seront-ils alloués à cet effet par le budget de l'Etat ? Si c'est le cas, ils ne manqueraient pas de le grever lourdement ou est-ce qu'on compte sur l'exploitation de certaines de ces unités par la direction de la Mosquée pour obtenir des ressources dont l'importance dépendra de la nature des initiatives qui seront prises ? Compte tenu des besoins énormes en ressources financières pour faire fonctionner l'ensemble du complexe, il serait utile de créer une fondation qui aura à collecter des fonds auprès des fidèles et de veiller à ce que sa gestion soit rigoureuse. Si les responsables font preuve d'imagination et de dynamisme, ils pourront réduire le recours au budget de l'Etat. Quoi qu'il en soit, l'équipe chargée de l'inspection aura à préparer un rapport qui reprendra les résultats des investigations qui auront ainsi englobé tous les aspects évoqués ci-dessus. Il est à noter par ailleurs qu'en fait le coût final de la Mosquée, compte tenu des dépenses nécessaires à son équipement, et indépendamment des frais de fonctionnement sera beaucoup plus élevé qu'un milliard et demi de dollars. b) La seconde étape de la post-évaluation aura lieu dans deux ou trois ans. Il faut espérer qu'elle sera alors menée par une structure nationale qui aura été créée entre-temps pour exercer cette fonction. La structure en question aura à s'assurer en premier lieu que les infrastructures et leurs installations attenantes ne présentent pas d'anomalies, que les différentes unités du pôle sont effectivement en activité et répondent réellement aux attentes des fidèles. Elle aura à vérifier ensuite si les centres d'études ne se contentent pas de paraphraser les écrits des anciens, comme cela se fait souvent dans ce domaine. Elle cherchera à savoir s'ils continuent à traiter uniquement les thèmes traditionnels avec les mêmes méthodes conservatrices, ou s'ils entreprennent des études nouvelles avec un esprit ouvert en s'appuyant sur des approches rationnelles et sur une pensée critique. Les réalisations étant grandioses, elles suscitent de larges expectations de voir l'Islam, grâce aux études qui seront faites dans ces centres, devenir un facteur de progrès dans la manière de penser, dans l'évolution des comportements et des mœurs. La structure chargée de cette seconde étape se penchera également sur la gestion des unités. Est-elle efficace ? Y a-t-il des actions qui sont menées pour contenir et maîtriser les dépenses et pour créer des sources de revenus réguliers et suffisants. Les anomalies, les insuffisances, les carences et irrégularités, dans la mesure où elles existent, seront automatiquement notées et examinées pour enfin en déterminer les causes et les effets. La post-évaluation aboutira en fin de compte à l'établissement d'un rapport complet qui mentionnera toutes les constatations faites, les recommandations en vue de remédier aux insuffisances et les enseignements susceptibles d'être tirés des conditions dans lesquelles l'investissement a été exécuté et de la manière dont il est exploité. L'investissement concernant la Mosquée d'Alger et le surcoût qu'il a engendré méritent donc de faire l'objet d'un examen sérieux et minutieux. En l'absence d'une instance nationale dévolue à la post-évaluation qui aurait été la plus indiquée pour mener soigneusement ces investigations, il convient, comme cela a été proposé, de désigner l'Inspection des finances pour les faire et en même temps agir rapidement pour donner naissance à cette instance si indispensable.