Aidali Yani est étudiant en 2e année en master d'archéologie à l'université Alger 2. Engagé corps et âme dans le mouvement de protestation né au lendemain du hirak populaire, Aidali se dit aujourd'hui plus déterminé à poursuivre sa lutte auprès de ses camarades, jusqu'à l'aboutissement de leurs revendications. Il revient, dans cet entretien, sur les actions à entreprendre dans le cadre d'une éventuelle structure nationale regroupant les différents comités estudiantins déjà installés dans les universités algériennes. – En tant qu'animateur du mouvement estudiantin, pouvez-vous nous faire un état des lieux de ce mouvement qui boucle son septième mois ? Depuis le 22 février, le hirak estudiantin s'inscrit aujourd'hui dans la durée et prend maintenant un caractère permanent. La mobilisation s'est même maintenue malgré l'été, le Ramadhan et les vacances universitaires. Chaque mardi et vendredi, on a eu quasiment un référendum populaire dans les rues du pays. Certes, nous ne pouvons pas tirer un bilan définitif, parce que nous sommes devant un mouvement qui s'inscrit dans le long terme de par ses exigences et ses aspirations. Mais nous pouvons d'ores et déjà tirer quelques conclusions provisoires qui nous permettent de mieux avancer. En sept mois, nous avons réussi à faire partir Bouteflika, à annuler deux scrutins présidentiels et à arracher plus de droits démocratiques (manifester à Alger, organiser des forums dans les espaces publics et à l'intérieur des universités, etc.). Nous avons vu plusieurs ministres du gouvernement Bedoui chassés de plusieurs wilayas pendant des visites officielles, ce qui traduit un changement dans les rapports de force configurant la scène politique. Cependant, afin de sauver le régime, à travers une présidentielle complètement refusée par la population, le pouvoir avance au pas de charge : plusieurs militants, manifestants, dont des étudiants, ont été arrêtés ces dernières semaines. En face, le mouvement est certes encore puissant, mais peine à se doter d'une organisation de base. Et c'est là l'une des ses faiblesses. – Justement, qu'en est-il des différentes tentatives d'organisation du mouvement ? Les étudiants sont-ils parvenus à s'organiser dans une quelconque structure nationale ? En termes d'organisation du mouvement, on a vu en six mois quelques universités qui ont pu s'organiser de façon autonome, mais elles ne sont pas nombreuses par rapport au nombre d'universités qui existent dans le pays. Les différentes tentatives de coordination n'ont malheureusement pas abouti à mettre en place une coordination nationale. Mais le processus reste ouvert. Je pense que cela pourrait avoir lieu avec cette nouvelle année universitaire. – Quel serait le plan d'action du mouvement estudiantin avec le lancement de la nouvelle année universitaire 2019/2020 ? Je ne peux prétendre confectionner un plan d'action à moi seul. Cela sera sûrement une œuvre et réflexion collectives. Néanmoins, l'expérience de l'année qui vient de s'écouler a permis de tracer quelques axes importants pour le mouvement étudiant. Je crois que l'impératif sera la structuration et l'organisation du mouvement. Il faudra le doter d'une expression nationale démocratique et centralisée qui portera les aspirations démocratiques (démocratisation de l'université, liberté d'association et d'organisation au sein des campus, etc.), sociales (améliorations des conditions pédagogiques, débouchés professionnels, etc.) et aussi politiques. Nous aurons aussi à construire des ponts avec les autres franges populaires mobilisées dans le mouvement, à l'instar des travailleurs, des chômeurs et des enseignants. – A propos des enseignants, qu'en est-il de leur implication dans le mouvement de contestation des étudiants ? Pendant le mouvement, les enseignants ont joué un rôle important dans la mobilisation et participé aux marches des étudiants, parfois en s'organisant en collectifs, comme c'est le cas à l'université Alger 2, à l'USTHB de Bab Ezzouar, à Béjaïa et à Tizi Ouzou. Ils ont même constitué leur propre carré de marche. Cependant, on a tendance à oublier un autre «carré» de l'université. Il n'y a pas que les enseignants et les étudiants au sein de ces établissements, il y a aussi les travailleurs de l'université qui sont eux aussi de la partie. A Béjaïa, ils ont installé sur place un collectif les représentant et ont contribué aux débats et au maintien de la mobilisation pendant tout l'été. Les enseignants et travailleurs vont être des alliés et appuis conséquents du mouvement des étudiants au cours des mobilisations à venir. – Certaines sources parlent de possible radicalisation de la contestation estudiantine. Doit-on s'attendre à des grèves comme cela a été le cas dans certaines universités l'année précédente ? Sur la radicalisation du mouvement, pour l'instant on ne peut que spéculer, puisque les étudiants n'ont pas encore rejoint les campus à cause des inscriptions et des rattrapages. Ce qui est sûr, c'est qu'on doit s'attendre à beaucoup de grèves autour de revendications d'ordre politique (le départ du régime, la libération des détenus d'opinion, la levée des restrictions sur l'exercice démocratique), mais aussi professionnels. La question des débouchés occupe le centre des préoccupations des étudiants depuis quelques années. Le système LMD, qui nous promettait de rapprocher l'université de l'entreprise, s'est avéré une chimère et n'a fait que mettre l'université au service du secteur privé. Ce système n'a rien résolu à la question du chômage. Les mobilisations seront là. Il y a déjà un appel des étudiants de droit qui revendiquent l'accès au concours de CAPA, et qui renforceront encore plus le hirak.