Le sociologue Nacer Djabi explique que le hirak actuel est caractérisé par la présence de trois composantes essentielles de la société : les jeunes, les femmes et la classe moyenne. Le sociologue Nacer Djabi met en garde contre les risques de la gestion de la crise actuelle par les tenants du pouvoir. Selon lui, la reconduction des méthodes sécuritaires des années 1970 est «une grave erreur», car il ne prend pas en compte les mutations sociologiques de la société algériennes. «Le pouvoir n'a pas compris les transformations sociales rapides qui ont eu lieu en Algérie ces dernières années. Et si cette incompréhension persiste, on peut aller vers une confrontation brutale», expliquait-il lors d'une conférence-débat sur le thème «Algérie : sociologie et révolution», organisée, hier à Alger, par l'association SOS Disparus. Se référant aux études d'Emmanuel Todd sur les révoltes arabes et de Youcef Courbage, directeur de recherches à l'Institut national des études démographiques (INED) de Paris (France), le conférencier relève des transformations profondes de la société algérienne. Ces mutations démographiques, selon lui, sont retrouvées dans le mouvement populaire né depuis le 22 février dernier. Soulignant l'important rôle de l'école – au-delà de la qualité de l'enseignement – dans la socialisation de l'individu algérien, Nacer Djabi explique que le hirak actuel est caractérisé par la présence de trois composantes essentielles de la société : les jeunes, les femmes et la classe moyenne. «Sans la démographie, nous ne pouvons pas comprendre la politique. Et si on procède à l'analyse démographique de l'Algérie, on comprendra que nous sommes face à une nouvelle société. Ces jeunes qui manifestent sont le produit de cette transformation que nous n'avons pas remarqué», explique-t-il. Et d'ajouter : «La référence du jeune Algérien d'aujourd'hui n'est ni l'Arabie Saoudite ni le Pakistan. Il se réfère au monde moderne. Cela est confirmé par son insistance sur le caractère pacifique de la mobilisation et le respect des femmes présentes en force dans le hirak. Ainsi, nous ne nous sommes plus dans la configuration des années 1990.» Outre les jeunes, le rôle des femmes est aussi déterminant, grâce à leur engagement synonyme de rupture avec l'ordre ancien. L'autre catégorie sociale qui a signé sa présence dans ce mouvement est la classe moyenne. «Celle-ci se sent véritablement bloquée par le système, pas seulement sur le plan financier. C'est donc le meilleur de ce qu'a produit la société qui s'est retrouvé dans le hirak», souligne-t-il, précisant que cela exige une sérieuse méditation chez les tenants du pouvoir, car le mouvement est national et ses revendications aussi. Malheureusement, ajoute Nacer Djabi, ces derniers n'ont pas encore compris ces transformations. «Pis encore, ils ne cherchent pas à les cerner. Car, cela exige des décideurs du moment l'ouverture du dialogue. Au lieu de cela, ils ferment tous les canaux qui peuvent les aider à avoir cette compréhension (médias, champ politique…)», déplore-t-il. Le sociologue regrette cette situation où «le système rejette toujours les réalisations de l'Etat en se contentant d'une gestion informelle de ses affaires». «C'est cela la logique du système qui explique son insistance sur la tenue des élections, sans une réelle ouverture», lance-t-il, rappelant qu'il y a aussi des défaillances au sein de l'élite politique algérienne, appelée à prendre en charge ces mutations sociologiques.