L'image est spectaculaire : une voiture au capot défoncé, le moteur éventré, gisant immobile après avoir percuté de plein fouet l'une des haies coupant l'accès à la présidence de la République. Le hic est que le véhicule en question, une berline de luxe de marque Audi, de couleur noire, venait de l'intérieur même du périmètre de la Présidence, comme l'indique clairement son positionnement et semblait se diriger vers l'extérieur, à hauteur du rond-point qui jouxte le palais d'El Mouradia. Comment les choses se sont-elles passées ? Comment cet incroyable tour de force aux allures d'un attentat a-t-il pu se produire ? Petit flash-back. Il était environ 10h25. Nous nous trouvions à l'intérieur de la boutique Canal+, sise sur l'artère principale du quartier d'El Mouradia, à quelques encablures de la présidence de la République. Nous étions là pour les besoins d'une enquête sur le marché des cartes télé en prévision de la Coupe du monde. Alors que nous étions en grande discussion avec un vendeur de cette boutique, un bruit sourd interrompt net notre entretien. Cela résonnait comme un choc violent. Les choses en seraient restées là n'était la scène, choquante en soi, qui suivit : des agents AOP sortirent aussitôt leur pistolet et se ruèrent en direction de la Présidence. On se croirait sur le plateau de tournage d'un thriller politique ou d'un film catastrophe à la sauce hollywoodienne. Très vite, tout le périmètre est bouclé, et des cris de panique fusaient de partout. Une nuée d'armes de poing se pointa vers l'Audi qui venait donc de percuter brutalement l'une des barrières qui ceinturent le périmètre de sécurité du palais d'El Mouradia. « Dégagez ! No Comment ! » En quelques secondes, le « chauffard » téméraire, un homme, la quarantaine, est violemment tiré de l'habitacle, couché au sol et roué de coups par une horde de policiers avant d'être embarqué vers l'un des bureaux du grand immeuble administratif attenant aux appartements du président Bouteflika. Notons qu'en dépit de la gravité de la situation, aucun des policiers n'a osé tirer. Un essaim d'uniformes en tout genre envahit rapidement le périmètre, entre forces de police, Garde républicaine, Gendarmerie nationale et DRS. Des éléments de la police scientifique ne tarderont pas à quadriller le site pour passer au crible le véhicule suspect. Celui-ci arbore les stigmates du choc qu'il venait de subir. Bien que nous sommes rapidement rassurés sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'un attentat, les policiers se montrent ultra prudents. Les nerfs à fleur de peau, ils sont sur le pied de guerre. L'un d'eux, agacé par notre présence, s'écrie : « Dégagez, dégagez ! Quand le danger sera totalement écarté, on pourra parler. » Même si une ambiance folle régnait aux abords de la Présidence, la circulation automobile n'a quasiment pas été interrompue. La police se contentait d'éloigner les badauds pendant que des experts (pas des artificiers) examinaient le moteur pour s'assurer qu'il n'y avait aucun risque d'explosion. Plus de peur que de mal, donc. Une certaine fébrilité régnait devant le lycée Bouamama où des candidats au bac tentaient de se concentrer sur leurs épreuves au milieu de tout ce brouhaha. Nous avons évidemment essayé d'approcher les enquêteurs pour recueillir quelques bribes d'explication. Peine perdue. No comment. Aucune information officielle n'a filtré pour l'heure sur cette affaire. Aucun communiqué n'a été émis par la Présidence ni par les services de sécurité. Un employé de la Présidence ? Si côté officiel, c'est un silence embarrassé qui entoure la gestion de cette affaire, en revanche, chez les riverains d'en face, les témoignages pleuvent à foison, donnant lieu – comme toujours en pareille situation – aux commentaires les plus farfelus et aux récits les plus fantaisistes. « Ça doit être un cadre de la Présidence qui a pété les plombs », dit l'un. Un autre renchérit : « Kan balaâ el cachiate (il devait être drogué). » D'aucuns ont souligné le fait que le conducteur du véhicule ait eu toute latitude de se « promener » à l'intérieur du secteur le plus sécurisé du pays « en toute impunité ». Ce qui fera dire à d'autres – et c'est même l'hypothèse la plus plausible – que l'auteur de ce coup fait partie de l'entourage de la Présidence : garde du corps, chauffeur ou quelque autre employé. Bref, un habitué des lieux. Des témoins n'ont pas manqué de relever que la voiture en question leur était assez familière : elle ferait partie du parc présidentiel. D'ailleurs, un parking souterrain est abrité par l'immeuble du ministère des Affaires étrangères. « Moi je passe tous les jours par là, c'est sûrement un cadre de la Présidence », lâche un citoyen. Ce qui turlupinait le plus les gens, c'était le sens à donner à cette opération. Comment, en effet, interpréter l'attitude de cet homme qui essayait de trouver la sortie en fonçant à vive allure sur une voie qu'il savait pourtant obstruée par de gros blocs de béton et des fourgons de police ? Mystère et boule de gomme. « Il devait certainement être soûl. A moins qu'il n'ait perdu la tête », commentent d'autres voix. Quoi qu'il en soit, seule l'enquête révélera, comme nous le disions, les dessous d'une action aussi absurde que désespérée .