Jusqu'à quand nos jeunes continueront-ils d'ignorer l'épopée de ces prestigieux et honorables maghrébins, nos ancêtres, dont la vie exemplaire et le legs spirituel devront continuer à nourrir l'esprit des générations ? Dans le souci évident de les soustraire à cette influence de désinformation sur nos origines, notre combat, notre culture concoctée par tant de spécialistes en imposture, exploitant le vide culturel et profitant des crises successives, ayant miné le pays à cause de dysfonctionnements multiples, ne convient-il pas de jeter toute la lumière sur des événements et des faits inconnus par les jeunes générations ? Ne doit-on pas dire aujourd'hui toute la vérité sur des moments exceptionnels, à tous égards, que nos ancêtres ont bien rempli sur tous les fronts de leur participation effective et combien bénéfique à l'Histoire de l'humanité ? Les Algériens de Bilâd ec-Shâm… ? De prime abord, quand on voit un titre pareil, avant même de lire l'ouvrage, l'on se dit que l'auteur a ce goût prononcé pour les choses de l'Orient… Et puis, lorsqu'on commence à parcourir les premières pages, en essayant de les lire superficiellement, l'on s'accroche petit à petit, car l'on sent que c'est du sérieux, du béton, comme disent ceux qui vont dans les superlatifs en définissant ce qui doit être lourdement, mais proprement exprimé. Recherche historique Dans cette dernière parution, Kamel Bouchama, qui commence à nous habituer à la recherche historique, a fait la démonstration de qualités exceptionnelles dans l'exploration de notre passé pour nous présenter une œuvre — et le terme n'est pas excessif — qui nous réconcilie avec nos traditions de combat et de participation effective à la civilisation qui a comblé de ses bienfaits le Bassin méditerranéen. Déjà, dans son prologue, écrit dans le style de l'auteur prolifique et convaincu, il nous promène dans l'entrecroisement de la chronologie de notre Histoire ou les « arcanes » de celle-ci, c'est selon, pour nous préparer à recevoir cette multitude d'informations et, on le saura en lisant convenablement l'ouvrage, de révélations à vous couper le souffle. En effet, depuis les pharaons berbères jusqu'au Pape et aux empereurs berbères qui ont régi l'Empire romain, à Saint Augustin, le plus célèbre père de l'Eglise catholique et écrivain de langue — cela dans l'Antiquité — ; également depuis les princes et califes de l'Andalousie et plus tard depuis les chefs d'Etat et de gouvernement, comme Mohamed Taj Eddine El Hassani El Djazaïri, président de la République de Syrie, jusqu'aux ministres et ambassadeurs, tous de cette terre ô combien fertile dans tous les domaines, ont démontré dans les pays du Maghreb et du Machreq, qu'ils étaient de cette trempe de dirigeants qui savent commander et gérer tout en conservant jalousement leurs traditions, mais surtout leur liberté. Le dernier-né de Kamel Bouchama mérite ce nom d'ouvrage…, vraiment. Et comment ne l'est-il pas quand, à travers ses treize chapitres, il nous séduit et nous envoûte par une littérature jamais proposée auparavant ? Oui, jamais proposée car l'enseignement de notre Histoire, la vraie, en école algérienne, a péché par son détachement, voire par sa désinvolture vis-à-vis de cette matière pourtant indispensable pour la formation de l'Algérien au présent et au futur. En lisant cet ouvrage donc, l'on comprendra que concernant les nôtres de Bilâd ec-Shâm, nous leur avons tourné le dos, carrément, c'est-à-dire que nous avons ignoré, jusque-là, ce pan d'histoire depuis le recouvrement de notre souveraineté nationale, comme si cette région et son importante communauté algérienne ne nous intéressent pas. N'est-ce pas que nos ancêtres qui ont vécu là-bas et ceux qui y vivent jusqu'à aujourd'hui, ont des droits sur nous, sur leur pays d'origine, ne serait-ce que par une attention soutenue et non par des vœux pieux, comme les distribuent certains responsables irresponsables qui font dans l'esbroufe, qui sèment à tout vent des promesses et s'engagent dans des situations embarrassantes qu'ils ne peuvent satisfaire ? Cette diaspora importante, sur le plan du nombre et de la qualité, est aussi digne d'intérêt que celles qui se trouvent en pays d'Europe ou ailleurs dans le monde. Ainsi, écrire sur un sujet pareil, pour revisiter ou réveiller notre Histoire, c'est aller vers l'essentiel, d'autant que nous accusons beaucoup de retard dans ce domaine, un retard qui ne se légitime en aucun cas, même si l'on se crée des alibis, en nous murant derrière des priorités qui nous contraignent depuis l'indépendance et qui continuent à nous imposer leurs nécessités. Ce retard donc, ou cette négligence, ne procède d'aucune raison valable, franchement, car les Algériens connaissent pour la plupart tout ce qui a trait à l'Histoire des autres, et ne connaissent pas la leur. Alors, dans cette situation, c'est doublement dommage quand on est loin de sa réalité, de sa mémoire collective, alors que nous possédons un passé digne d'éloges qui peut nous procurer ce plaisir d'être fiers par ses mille et un hauts faits que nos ancêtres ont eu le courage et la détermination de présenter. Et l'auteur Kamel Bouchama n'a pas hésité à aller réhabiliter nos ancêtres, en nous racontant cette merveilleuse épopée des Algériens dans le grand Shâm, une région qui les a vus évoluer ardemment. Les nôtres, comme il les appelle constamment, après avoir concrètement participé dans la région de Palestine, pendant le XIIe siècle, à la libération des Lieux Saints à Jérusalem, se sont engagés ensuite pleinement, à travers un programme édifiant, dans l'émancipation des populations de Bilâd ec-Shâm. Ces propos paraîtront bizarres pour ceux qui avaient l'habitude de nous classer dans le registre des négatifs, selon les formulations colonialistes, qui nous désignaient comme un peuple « mineur, primitif, incapable, digne seulement d'une sollicitude bienveillante et paternaliste. » Enfin, cette présence, relatera l'auteur, s'est perpétuée pendant de nombreux siècles, en une émigration « continue et segmentaire », qui essayait d'être toujours fidèle aux actions d'éclats, aux prouesses des uns et des autres, ainsi qu'à leur infortune, à leurs échecs et, bien entendu, à leur malheur. Pour nous rappeler toute cette épopée, il a fait des recoupements, des déductions intelligentes, aidé en cela par ceux qui l'ont précédé dans cette écriture, et il est parvenu à présenter valablement, à notre sens, ce qui devait être la réalité de ces moments que caractérisaient la progression mais aussi la régression, et que tourmentaient certainement beaucoup de dissensions et d'alliances contre-nature. L'aura de l'Emir Abdelkader Par contre, la deuxième partie de son écrit, c'est-à-dire celle relatant la période qui commence à partir de 1830, celle où l'émigration s'imposait pour un peuple qui ne pouvait plus supporter le joug colonial, va dans la précision parce que les archives existent et les personnages qui ont fait les événements ont laissé des écrits sous forme de rapports et de témoignages. Le lecteur s'en apercevra de lui-même, en remarquant l'exactitude du propos, à travers des situations claires, des personnages qui ont partagé avec leurs frères du pays d'accueil de grands moments de travail commun et de militantisme, enfin à travers des défis pour remonter la pente dans ce grand Shâm qui a eu à souffrir des expéditions hégémoniques que le destin lui a imposées. L'ouvrage de Kamel Bouchama n'est pas un classique linéaire, c'est un ouvrage très documenté qui se laisse lire facilement, du fait qu'il est, par moment, entrecoupé par d'agréables digressions qui font justement le charme de son contenu. On relève parmi ces digressions, l'histoire du couscous chez Abou Ali, d'autres de l'Emir Abdelkader dont celle où il défendait les chrétiens et l'autre de « Dar el Hadith », anciennement quartier des 11 tavernes, l'histoire de Abou Yacine, le fidaï de Azzeddine El Qessem, dont les origines vont jusqu'à la tribu des Beni Oughlis dans la région de Béjaïa, la belle aventure de l'Emir Azzeddine, petit-fils de l'Emir Abdelkader par sa maman, qui a rejoint les combattants, en cette année de 1925 et son combat contre les Français qui a commencé de ce domaine mythique de « Haouch Blass », l'histoire du colonel Attaf Pacha El Djazaïri, le commandant de la division des spahis algériens qui allait créer l'étonnement au sein du mouvement nationaliste arabe, et tant d'autres, dont une très caractéristique, celle de la princesse Amel El Djazaïri et la reconnaissance de la lutte du peuple algérien par le Premier ministre indien Jawaharlal Nehru. Nous ne dirons pas plus, sauf qu'« avec Kamel Bouchama, on retrouve la fierté d'être Algérien », comme l'écrivait Ammar Belhimer, dans Le Soir d'Algérie, ou que « cet auteur, passionné et infatigable, ne cesse de courir les marathons tracés dans les plis de notre héritage le plus sûr, le plus riche et le plus lointain, en se fixant la mission d'essayer de s'assimiler le passé pour éclairer le présent », comme l'affirmait Kaddour M'Hamsadji, dans sa critique littéraire, dans le quotidien L'Expression. Enfin, cet ouvrage est, en réalité, un message d'espoir à la jeunesse. Il faut le lire pour comprendre sa portée au sein d'une société comme la nôtre qui a besoin de connaître ses repères, son passé pour aller de l'avant et nous donner les meilleures satisfactions. Les Algériens de Bilâd ec-Shâm Editions Juba 344 pages