Par la mise en valeur de plus de 80 hectares, ce barrage risque aussi de déboucher sur une guerre de l'eau entre riverains et spéculateurs. Seule l'érection d'un office public de gestion pourra juguler le phénomène de prédation et d'abus. Les fellahs de la vallée du Cheliff ont enfin de quoi se réjouir. Le chantier de construction d'un petit barrage est en train d'avancer à une allure soutenue. En effet, sur le site de construction, qui vient de recevoir la visite de la première responsable de la wilaya, il y a une pléthore d'engins de tous types qui s'affairent à ériger une digue de 17,70 mètres de hauteur qui retiendra l'eau de ruissellement du bassin versant qui alimente l'oued Benzegouane. D'une longueur de seulement 5 km, ce ruisseau constitue le dernier affluent d'importance du Cheliff qui se jette à la mer 12 km en aval. Avec un bassin versant de 10 km2, cette retenue collinaire pourra emmagasiner 360 000 m3, dont 333 000 m3 seront disponibles pour l'irrigation des terres qui bordent cette portion distale du plus long oued d Algérie dont la source se situe sur les piémonts du Sersou et qui se retrouve quasiment à sec durant plus de 6 mois de l'année. Mettant ainsi dans la précarité une population paysanne réduite à quémander la moindre goutte d'eau que livre parcimonieusement le barrage du Gargar, situé près de 60 km plus loin. Une situation qui, tous les étés, entraîne révolte et réprobation de la part des éleveurs et des maraîchers de la région qui ne survivent que grâce aux lâchers que daigne effectuer le ministère des Ressources en eau. C'est pourquoi la réalisation de cet ouvrage hydraulique était fortement attendue par les riverains dont les terres, pourtant très fertiles, ne permettaient plus que la culture en sec des céréales. Les artichautières qui faisaient la réputation de Belattar et Aâchasta, céderont devant l'avancée impitoyable des orges et autres fourrages. Avec la rareté de l'eau et le recours à une monoculture vivrière, c'est cette agriculture florissante des temps anciens qui disparaissait, laissant derrière elle des rendements médiocres et une paupérisation dévastatrice. Une image de désolation que les habitants de cette vallée veulent à tout prix effacer de leur mémoire. Avec le lancement de ce chantier, c'est un réel espoir qui revient. Mais un espoir vite édulcoré par des craintes multiples que nombre d'habitants expriment ouvertement. Leur première préoccupation a trait à l'usage qui sera fait des 330 000 m3 qui seront retenus. Beaucoup craignent que la répartition ne profite qu'aux spéculateurs qui en ferait un usage conforme à leurs intérêts immédiats. Pour d'autres fellahs, la présence de l'eau ne devrait profiter qu'au grand nombre. La répartition inéquitable de l'eau à travers les 80 ha irrigables est redoutée par tous. Car, sans la présence d'un agent de régulation, tous craignent que ceux ayant les plus gros moyens pompent l'essentiel de l'eau au détriment des petits paysans démunis. La répartition inéquitable redoutée par tous Le recours à des systèmes d'irrigation économes - à l'instar du goutte-à-goutte ou de l'aspersion - est fortement conseillé, mais les installations coûtent cher et ce ne sont pas les centaines de propriétaires de parcelles éparses qui pourront en bénéficier. A moins que l'Etat, par le biais du FNDRA, ne vienne organiser ce recours à une agriculture intensive. Habitués aux cultures estivales très gourmandes en eau - tomates, poivrons, pastèques et surtout melons -, les fellah locaux pourraient être tentés par ces maraîchers spéculatifs. Ce qui pourrait provoquer un épuisement rapide des réserves hydriques et replonger la région dans une terrible guerre de l'eau. A la direction de l'hydraulique, les appréhensions sont réelles et ce ne sont pas les atermoiements du ministère de l'Agriculture qui lèveront les craintes des fellahs et des techniciens de l'eau. Car la livraison de l'ouvrage serait imminente, pour peu que les pluies printanières soient au rendez-vous. Une fois que l'entreprise aura quitté les lieux, qui aura accès à l'eau et qui en régulera la distribution ? Avec une capacité de stockage de 360 000 m3, l'ouvrage qui aura coûté plus de 6,6 milliards de centimes, devra réguler les 250 000 m3/an qui seront récupérés grâce à un bassin versant de 11 km2 qui reçoit en moyenne annuelle 600 mm de pluie. Ce qui nécessitera une gestion rigoureuse du bassin versant par le recours à un reboisement intensif. A défaut, la durée de vie du barrage sera amoindrie par la présence de sols fortement érodables. La construction d'un bâtard d'eau - dont la principale fonction consiste à réaliser une décantation des boues avant le transfert de l'eau vers le bassin de stockage - ne devrait que différer l'envasement. Seule une action de longue haleine en amont pourrait prolonger la durée de vie de l'ouvrage. Les lycéens de Aïn Tédelès, qui furent mobilisés à l'occasion de la Journée de l'eau, ne peuvent constituer un palliatif à une action de reboisement concertée et de longue haleine. La seule à même d'initier un développement durable et équitable de la région. Malheureusement, il semble que la construction de l'ouvrage ne soit, encore une fois, que la finalité. Alors qu'elle devrait être le commencement d'une ère de prospérité pour tous les habitants du coin.