Le tribunal de Bab El Oued (Alger) a prononcé, hier, la relaxe pour cinq détenus incarcérés à la maison d'arrêt d'El Harrach pour port de l'emblème amazigh. Il s'agit de Boudjemil Mohand, Idir Ali, Karoun Hamza, Lekhel Kamel et Okbi Akli, placés en détention préventive depuis le 23 juin dernier. Une foule composée des familles des prisonniers, de membres du collectif de défense, de militants de partis, de journalistes, s'était rassemblée le matin devant le tribunal de la proche banlieue ouest d'Alger (Hammamet, ex-Bainem). La police, très tatillonne, a fini par ouvrir l'accès à la salle à l'arrivée du fourgon pénitentiaire. Le magistrat entre dans la salle, exige le calme. Il commence par donner les noms des prévenus avant d'annoncer son verdict : relaxe pour tous les détenus. Aussitôt, des cris de soulagement, des youyous fusent dans la salle bondée. Les présents sortaient presque en courant du tribunal, smartphones en main, des lives seront partagés à satiété sur les réseaux sociaux. Des slogans sont scandés à gorge déployée sous le regard des policiers : «Algérie, libre et démocratique !» «Nous sommes des Imazighen, personne ne peut nous soumettre !» «Pas de vote !» Présente aux côtés des familles, la députée Fetta Sadat précise que le juge n'a fait qu'appliquer la loi. «Très contente que la justice soit rendue, mais je déplore cependant que les détenus aient passé près 5 mois de leur vie en prison pour des faits qui ne sont pas réprimés par la loi. Nous ne devons pas oublier qu'ils ont été arrêtés, poursuivis et placés en détention abusivement», tranche l'avocate. La relaxe prononcée par le tribunal de Bainem intervient après que le juge de Sidi M'hamed ait condamné d'autres détenus à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour le même chef d'inculpation. «Je resterai Amazigh jusqu'à ma mort» Le coordinateur du collectif des familles des détenus, Arezki Challal, signale que le verdict est une «bouffée d'oxygène» pour les proches des prisonniers. «Mais comment se fait-il qu'en l'espace de trois jours, trois verdicts ont été prononcés pour le même supposé délit (atteinte à l'unité nationale – port du drapeau amazigh) ?» s'offusque-t-il. Dans une déclaration postée sur sa page la veille, le coordinateur note : «Ces condamnations, qui interviennent après près de cinq mois de détention arbitraire à titre préventif pour certains des accusés, sont aussi iniques qu'incompréhensibles. Elles sont juridiquement scandaleuses et politiquement dangereuses. Scandaleuses, d'abord, parce que les arrestations, l'incarcération, les chefs d'inculpation et les peines prononcées à la surprise générale relèvent du pur arbitraire et ne reposent sur aucun fondement juridique, comme l'ont brillamment démontré les avocats de la défense lors de leurs plaidoiries. Scandaleuses, puisque d'autres tribunaux, dans d'autres régions du pays, ont tout simplement relaxé des accusés jugés pour des faits identiques, estimant, à juste titre, que porter l'emblème amazigh ne constitue pas un délit et encore moins un crime. Les juges de Sidi M'hamed apportent ainsi la preuve, à leur corps défendant, que la justice de notre pays fonctionne à la carte et que, manifestement, les Algériens ne sont pas égaux devant la loi. Au-delà de leur caractère inique, les décisions rendues aujourd'hui sont, enfin, politiquement dangereuses. Elles signent une fuite en avant du pouvoir dans sa démarche suicidaire portée par la seule volonté de réprimer et de provoquer. C'est ce pouvoir et non les jeunes manifestants condamnés qui, dans son aveuglement et son entêtement désespéré à se maintenir, qui met en péril l'unité et la cohésion nationales pour lesquelles l'emblème amazigh constitue un ciment et non un objet de discorde.» Pour Saïd Salhi, vice-président de la LADDH (aile Zahouane), la relaxe des détenus «confirme le caractère exceptionnel du tribunal de Sidi M'hamed». «Plus que cela, il alimente tous les doutes quant à l'indépendance de ce tribunal, qui a déjà défrayé la chronique non seulement sur le dossier des porteurs du drapeau mais aussi sur son recours abusif à la détention provisoire», s'indigne le militant des droits de l'homme. Pour sa part, le président de la LADDH, Noureddine Benissad, estime que le tribunal de Bab El Oued a fait une «saine application» de la loi, car il n'y a aucune disposition pénale qui incrimine le port d'un emblème autre que le drapeau national. «Comment convaincre les justiciables et les Algériens de cette justice à deux vitesses, où pour le même chef d'inculpation, dans deux tribunaux relevant de la même cour et dans la même République, certains sont libérés et d'autres condamnés», s'interroge l'avocat, précisant que la Ligue appelle à la libération de tous les détenus d'opinion et au respect des libertés de circuler, de manifester et de s'exprimer. Les jeunes détenus du hirak, les premiers à avoir été mis en détention (23 juin), ont été libérés de la maison d'arrêt d'El Harrach en début d'après-midi. Les familles venues accueillir à la sortir du sinistre lieu les leurs n'hésiteront pas à sortir le drapeau amazigh. Un des jeunes détenus, Ali Idir, lance à la journaliste Lynda Abbou qui le filmait : «Je resterai Amazigh jusqu'à ma mort. Tamazight est toujours là, hamdoullah.»