Smaïn Kouadria, SG du syndicat d'entreprise à ArcelorMittal, accuse le partenaire indien de mener une politique managériale qui n'arrange pas les intérêts algériens. Dans cet entretien, le syndicaliste revient également sur les raisons des grèves cycliques au complexe sidérurgique et soutient que les travailleurs sont décidés à arracher leurs droits. Comment a évolué le complexe depuis son rachat en 2001 par le numéro un mondial de la sidérurgie ArcelorMittal ? Pendant les trois premières années du partenariat, les effectifs étaient de l'ordre de 12 000 travailleurs, toutes les installations étaient opérationnelles. Ce n'est qu'à partir de 2005 que les choses ont changé. Plus d'investissements, les installations qui étaient opérationnelles au moment du partenariat sont pour la plupart à l'arrêt. La cokerie, l'une des unités stratégiques, est à l'arrêt depuis septembre 2009, le haut fourneau (HF) n°1 est à l'arrêt depuis presque trois années. L'unité étamage et fer blanc également à l'arrêt voilà 4 ans. Depuis les 4 derniers mois, c'est l'arrêt total de la tuberie sans soudure (TSS). De 12 000 travailleurs, les effectifs ont été ramenés au nombre de 6000. L'activité au niveau de tous les points de vente que compte l'entreprise est en veilleuse, à savoir Sidi Bel Abbès, Mostaganem, El Kseur, El Khroub et Mezloug. En termes d'investissements, y a-t-il eu manquement aux engagements de l'accord de partenariat ? Oui. Au lieu d'investir et de recentrer l'activité du complexe sur la production, le partenaire étranger a préféré opter pour l'importation. Il fait travailler ses usines à l'étranger, mettant notre complexe face à une concurrence déloyale par le biais de ses produits sidérurgiques issus de ses usines dans le monde. Il est actuellement en train d'importer du rond à béton et du fil machine depuis ses usines. Il a même importé de la billette, un produit semi-fini, pour procéder à sa transformation en rond à béton et fil machine au niveau du complexe d'El Hadjar. Il faut savoir qu'à l'usine El Hadjar, le coût de production de la billette revient à 460 dollars/la tonne. La direction l'importe au prix de 660 dollars la tonne à partir de ses propres usines, notamment celles de Hambourg en Allemagne et de Roumanie. C'est un transfert pur et simple de capitaux. D'où l'accumulation des dettes du complexe vis-à-vis du groupe et qui s'élèvent actuellement à 150 millions de dollars. L'absence de contrôle de l'Etat algérien par le biais du conseil d'administration d'ArcelorMittal El Hadjar où siègent deux nationaux y est pour beaucoup. Aussi, la comptabilité du complexe échappe à tout contrôle, du fait surtout de la majorité absolue du partenaire indien dans le conseil d'administration. Pour preuve, le bilan comptable et financier de l'exercice 2008 a été rejeté par le commissaire aux comptes. Qu'en est-il du plan d'investissement 2010-2014 pour lequel l'employeur s'est engagé à injecter une enveloppe de 200 millions de dollars ? Cet engagement a été arraché au prix fort. Il a fallu une grève générale de 9 jours pour que le partenaire étranger daigne dégager ce plan d'investissement. A ce jour, les 200 millions de dollars prévus dans cette perspective n'ont toujours pas été débloqués. Actuellement, le haut fourneau n°2 est en fin de campagne. L'étude technique que nécessite sa réhabilitation n'a, à ce jour, pas été lancée. Le partenaire indien s'est limité à installer des appareils de contrôle. C'est-à-dire de simples opérations de rafistolage. Le HF n°2 représente un risque latent d'explosion. Sa réhabilitation est une nécessité absolue et doit se faire en toute urgence. Quel bilan faites-vous alors du partenariat avec l'indien ArcelorMittal ? Le bilan est négatif : pertes de milliers de postes de travail, pas de création de nouveaux emplois, pas d'investissement, baisse de la production, des améliorations aléatoires de salaires, épuisement des unités stratégiques… J'estime que le principe gagnant-gagnant n'a pas été respecté. C'est le partenaire indien qui s'en est sorti gagnant car depuis son arrivée, il a engrangé des bénéfices nets déclarés de l'ordre de plus de 500 millions de dollars, sans parler de ce qui se fait dans l'ombre, c'est-à-dire ce qui échappe au contrôle. L'accord de partenariat arrive à terme en octobre 2011. Les négociations et les pourparlers autour de sa reconduction ou non doivent normalement être entamés plusieurs mois avant la date de son expiration. En tant que syndicat, nous pensons que la démarche actuelle du partenaire indien consiste à gagner du temps pour ramener l'usine à l'état de ferraille. Son but est de négocier la reconduction du contrat en position de force. La réhabilitation et la rénovation de toutes les installations du complexe actuellement fatiguées nécessiteront de lourds investissements pouvant aller de 500 à 700 millions de dollars. L'actionnaire étranger va inévitablement exiger la récupération des 30% pour pouvoir engager autant d'argent. Et la grève, le syndicat est-il toujours aussi déterminé à passer à l'action, sachant que la direction générale la considère illégale ? L'application de la convention de branches et les dispositions édictées lors de la dernière tripartite est une revendication légitime. Les résultats que nous avons réalisés en termes de production nous ouvrent le droit de demander une augmentation salariale. Le partenaire indien doit se conformer aux dispositions de la tripartite et aux accords intervenus au niveau de la branche, et ce, pour différentes raisons. Vu l'intransigeance de l'employeur, une grève générale illimitée sera observée à partir du 21 juin. Je dois préciser que le syndicat a veillé au strict respect de la législation réglementant les conflits collectifs des travailleurs. Nous ne ferons aucune concession. L'enjeu est de taille, car nous devons servir de locomotive pour tous les travailleurs du secteur privé et des sociétés étrangères qui représentent 60% du tissu économique national.