Bienvenue chez les Tatares. La formule est transcrite sur un panneau indiquant la voie vers le restaurant Tatarska Jurta. Kruszyniany (Pologne) De notre envoyé spécial Un endroit où l'on fait découvrir aux visiteurs la cuisine tartare. Le restaurant, tout en bois comme il en existe beaucoup en Pologne, est implanté à dix mètres de la voie principale qui mène du village Kruszyniany (250 km à l'est de Varsovie, la capitale polonaise) vers la Biélorussie. Il est d'ailleurs l'unique lieu où l'on peut manger, village de 50 habitants, tous des musulmans tatares. Implanté au milieu d'un vaste champ couvert d'arbres et de végétation, le village est très calme. mardi 8 juin 2010. Il est environ 12h30 quand nous avons frappé à la porte de Tatarska Jurta. Mme Dzenneta Bogdanowic, la propriétaire, vient à notre rencontre. Avec sa fille, Dzemela, la jeune femme s'occupe seule de la gestion et du service dans son restaurant. Son mari, lui, s'occupe des aménagements à l'extérieur. Elle nous reçoit avec sourire et beaucoup d'hospitalité : « Installez-vous. Tout est prêt », nous déclare-t-elle en montrant une table et des bancs en bois installés dans un coin au fond de la salle. Ce restaurant est, pour la famille Bogdanowic, à la fois, un moyen de gagner sa vie et de faire perpétuer les us et coutumes tatares. Ici on ne sert au client que des mets locaux, faits à base de pâte et de viande de veau. La nourriture est très consistante. Nos hôtes nous servent plus de trois plats qu'il faut absolument déguster. Après avoir terminé de manger, la dame nous sert aussi du thé et du café. Très dynamique, la jeune femme fait aussi dans le militantisme. Elle organise chaque année le festival de la culture tartare, auquel elle invite tous les ambassadeurs des pays musulmans, dont celui de l'Algérie qui n'a pas honoré l'invitation pour le moment. Minoritaires dans un pays à majorité chrétienne catholique, les tatares se livrent à une lutte quotidienne pour leur affirmation. Ils veulent se faire connaître et sont très fiers de leur appartenance. La visite du prince Charles, un événement mémorable Cela, même s'ils ne sont plus très nombreux (leur nombre a sensiblement régressé) dans ce pays d'Europe centrale. Des 300 Tatares qui habitaient Kruszyniany au début de leur implantation dans la région, il ne reste que quatre familles. Ainsi, chaque visite d'un étranger est un événement très important. Mais en mars dernier, les Tatares de Kruszyniany ont reçu un invité de marque : le prince Charles, héritier du trône d'Angleterre, qui avait effectué une virée historique dans la région. Dzenneta Bogdanowic sauvegarde ce souvenir avec fierté. La vidéo de la visite du prince héritier est diffusée sur un grand écran installé dans son restaurant. Sur la vidéo, on voit bien le prince Charles en train de déguster la cuisine tartare. La jeune femme se montre très bavarde quand elle se met à commenter cette visite historique. Dzenneta Bogdanowic nous montre également une autre vidéo, celle du festival de la culture tartare. « Ce festival a pour objectif de montrer les valeurs de notre peuple qui sont celles de l'Islam. On l'organise souvent au début du mois d'août. Cette année, je pense qu'on va avancer la date, car le mois de carême interviendra en août », dit-elle. Malgré le poids des ans (l'existence des Tatares en Pologne remonte à 600 ans), les Tatares restent toujours attachés à leur religion. Ils ont même une mosquée ici à Kruszyniany. C'est d'ailleurs la deuxième mosquée en Pologne après celle du village Bohoniki (à 30 km de Kruszyniany). Ce lieu de culte est, bien sûr, différent de nos mosquées. Sans minaret et sans coupole. Si ce n'est les trois croissants qui la surplombent, cette petite mosquée en bois passerait pour une petite église. Le sol couvert de tapis. Quelques versets du Coran transcrits sur des pièces en tissu sont accrochés sur les murs en planches de bois, cette mosquée ressemble à l'intérieur aux lieux de culte habituels. Elle dispose de deux salles. Les hommes, comme nous l'explique son gardien, Dzemil Gembicki, 36 ans, accomplissent leur prière dans la salle qui fait face au minbar. Les femmes doivent se mettre dans la deuxième salle. Les deux pièces sont séparées par un mur en bois. « Les gens viennent prier dans la mosquée à l'occasion des fêtes religieuses. Le mufti polonais, Tomasz Miskiewicz, vient lui aussi à l'occasion de l'Aïd », explique-t-il. Mais les Tatares ont une façon propre à eux de pratiquer la religion. La prière de vendredi est faite uniquement cinq à six fois par an. « Les gens habitent loin du village. De plus, ils sont obligés de travailler », justifie-t-il. Une femme imam Les Tatares se sont implantés à la fin du XIVe siècle en Pologne et dans le grand-duché de Lituanie. En excellents cavaliers, ils ont servi sur les champs de bataille. Pour les récompenser, le roi Jean III Sobieski, n'ayant pas d'argent pour payer le tribut, leur a octroyé en 1679 des terres. Depuis, ils ont intégré totalement la société polonaise. Ils sont autorisés à prendre des épouses polonaises. Et ils pratiquent leur culte sans être inquiétés. « Il y a environ 5000 Tatares. La majorité a quitté la région pour s'installer un peu partout dans le pays. Mais ils restent attachés à leur culture et à leur religion. Les Tatares se mariaient aux Polonaises, leurs enfants gardaient la religion musulmane et les coutumes tatares. On a des noms arabes auxquels on ajoute le suffixe (wic) », explique notre interlocuteur. Les enterrements se font dans le cimetière musulman du village, situé à quelques mètres de la mosquée. Sur les tombes, les noms sont gravés en arabe et en polonais. Comme à Kruszyniany, le village de Bohoniki sauvegarde aussi l'identité tatare. Ses habitants sont, eux aussi, musulmans sunnites. Ils ont leur propre mosquée qui est gérée, contrairement à la pratique dans le monde musulman, par une femme : Eugenia Radkiewic, la cinquantaine. La dame accueille les visiteurs et elle se met dans la peau d'un imam pour leur expliquer les principes religieux. Parfois, elle tente même de tester leurs connaissances en religion. « Qui a transmis le message divin au prophète Mohamed ? », demande-t-elle à notre guide polonais. Sa réponse étant juste, Eugenia Radkiewic est rassurée. Elle s'est mise alors à expliquer le fonctionnement de la mosquée de Bohoniki. Ici, les femmes ne sont pas obligées de porter le hidjab. « Les Arabes qui viennent ici me demandent souvent pourquoi je ne porte pas le hidjab. Je leur dis que si vous me trouvez un puits de pétrole à côté de chez moi, je le porterai sans aucun problème. En Pologne, nous sommes obligées de travailler. Avec un hidjab, il n'est pas possible de travailler dans l'agriculture », lance-t-elle. 35 000 musulmans en Pologne Contrairement à d'autres pays de l'Union européenne où les musulmans sont souvent stigmatisés, en Pologne ils passent presque inaperçus. En plus des Tatares, près de 30 000 musulmans, de diverses nationalités, vivent dans le pays. « La Constitution polonaise est garante de la liberté du culte. Les musulmans pratiquent leur religion sans être inquiétés », affirme Rashad Eltayeb Ahmed, responsable de l'unique mosquée de Varsovie. Cette dernière n'a pas la forme d'une mosquée. Elle est plutôt une salle de prière installée dans un quartier très calme de la capitale polonaise. Selon cet homme, d'origine soudanaise, la mosquée sert aussi d'école coranique pour les enfants musulmans et non-musulmans. « Nous donnons plusieurs cours par jour. Il y a même des Polonais qui envoient leurs enfants apprendre l'arabe chez nous », souligne-t-il. En plus, les deux communautés, catholique et musulmane, ont déjà engagé le dialogue des religions. « Nous sommes toujours en contact. Ensemble, nous organisons des réunions et des rencontres publiques pour permettre aux Polonais de connaître l'Islam. La dernière réunion que nous avons tenue portait sur les coutumes, les us et les fêtes religieuses chez les musulmans et les catholiques », dit-il. Dans cette entente, soutient-il, la ligue des musulmans de Pologne joue un très grand rôle. « La ligue musulmane est très active », ajoute-t-il. Pour les prêches, la mosquée de Varsovie se garde toujours de faire dans la politique. « Auparavant, les prêches du vendredi ont un caractère politique. Aujourd'hui, tout a changé. Nous avons choisi d'expliquer les principes de notre religion. C'est plus bénéfique pour notre communauté », commente Nezar Charif, imam de cette mosquée.