Le Guide de la révolution libyenne, le colonel Maâmmar El Kadhafi, a quitté hier Alger, après y avoir séjourné durant huit jours. Le dirigeant libyen est arrivé le 21 mars dernier pour prendre part au 17e sommet de la Ligue arabe. C'est la première fois de son histoire que le colonel El Kadhafi, connu pour être - avec Fidel Castro et Kim il-Sung - l'un des dirigeants les plus casaniers de la planète, passe autant de temps à l'étranger. Le détail n'a d'ailleurs pas échappé à la presse nationale. Personnage atypique et fantasque, Maâmmar El Kadhafi a fait les choux gras de la majorité des journaux. Surtout que celui-ci a multiplié, durant son séjour, les apparitions publiques et les déclarations fracassantes dignes de l'âge d'or du nassérisme et de la « nation arabe triomphante ». Certains médias, encore nostalgiques du panarabisme et du « socialisme spécifique » à la Ben Bella, n'ont pas hésité à se frotter les mains lorsque le doyen des dirigeants arabes est tombé à bras raccourcis sur le Conseil de sécurité de l'ONU et dit, devant les chaînes de télévision satellitaires internationales, venues nombreuses couvrir le sommet arabe d'Alger, ce qu'il pensait de la conception occidentale de la démocratie. D'autres, en revanche, classables volontiers parmi le gotha libéral national montant, ont perçu Maâmmar Kadhafi comme un interlocuteur sans intérêt, infréquentable et juste bon à attirer des problèmes. Le colonel Maâmmar Kadhafi était-il réellement un invité encombrant ? Pas si sûr, malgré ses caprices nombreux. Si nombreux que l'ensemble des fonctionnaires de la Présidence ont dû se priver de sommeil pour les réaliser. En effet, le Guide de la révolution libyenne peut être tout sauf inopportun. Certes, sa décision inattendue et surprenante de prolonger son séjour, après la clôture des travaux du sommet de la Ligue, a eu pour effet d'éclipser les activités du gouvernement et de chambouler l'agenda du président de la République et de son ministre des Affaires étrangères. Le chef de l'Etat, qui avait, croit-on savoir, prévu d'effectuer une tournée à l'intérieur du pays, a dû revoir ses projets dans le but de satisfaire la curiosité manifestée par son hôte pour l'expérience démocratique algérienne. Pour sa part, Abdelaziz Belkhadem, actuellement concentré sur le volumineux dossier des relations algéro-marocaines, s'est vu presque contraint de jouer au chaperon et de tenir compagnie à son homologue libyen, également resté à Alger. LA LIBYE ET LE BUSINESS Les déclarations intempestives de Maâmmar Kadhafi sur l'actualité arabe et mondiale faites lors de ses dernières apparitions publiques auraient pu également être gênantes et compromettantes pour l'Algérie. Surtout qu'elles ont eu pour cible l'Arabie Saoudite, un pays avec lequel la Libye est en froid depuis des mois. L'idée toutefois que le « qaid », le leader, n'était pas le bienvenu en Algérie et qu'il est une fréquentation inintéressante équivaudrait à émettre un jugement sans doute hâtif et loin de la réalité. Une réalité nouvelle ayant déjà scellé le dossier de Lockerbie et qui veut qu'aujourd'hui le département d'Etat américain, le Quai d'Orsay et le Foreign Office se disputent, à couteaux tirés, les faveurs du guide et, surtout, le marché libyen du pétrole. Un marché dans lequel Sonatrach vient de prendre pied. Les lubies algériennes du « colonel » ne doivent pas, non plus, faire oublier que les produits algériens sont particulièrement prisés par Tripoli et que des hommes d'affaires libyens ont commencé à exporter des capitaux en Algérie. Un argent qui tarde à venir, d'ailleurs. Il n'est pas inexact de rappeler que, depuis l'indépendance, les relations algéro-libyennes n'ont pas arrêté d'évoluer au gré des humeurs du « soldat perdu de la cause arabe » et de craindre que la reprise économique entre les deux pays se retrouve, un jour, compromise à cause d'un simple coup de tête. Mais rien n'interdit de penser, aussi, que Tripoli n'a pas tiré les leçons du passé et qu'elle ne s'est pas résolue à apprendre, enfin, la langue du pragmatique et du business. Ce que croient fermement les occidentaux. Si le changement se vérifie, cela permettrait au moins aux deux pays de poursuivre le bornage de leurs frontières, de désamorcer durablement le conflit oublié - mais toujours latent - lié au partage des ressources hydriques du Sahara et d'affiner leur coopération dans le domaine de la lutte antiterroriste. Le séjour prolongé de Kadhafi en Algérie pourrait en être le prélude. Pour le reste, le montant des investissements égyptiens, hors secteur des hydrocarbures, dans notre pays prouve que la coopération interarabe peut sortir de l'utopie.