Un Bizerte en bleu et blanc et une mémoire en gris noir. Le nouveau long métrage du Tunisien Abdellatif Ben Ammar, Les palmiers blessés, projeté en avant-première mondiale, jeudi soir, à l'ouverture du Festival international de Carthage, est une histoire de couleurs. Tunis De notre envoyé spécial Des couleurs qui se superposent ou qui se complètent. D'abord, il y a ce bleu turquoise de la mer. Une mer qui cache des trésors, mais qui arrache les vies aussi. Ensuite, il y a ce trou noir, symbolisé par l'entrée d'un tunnel. Chama, premier grand rôle pour la jeune Leïla Ouaz, prend le train pour aller retrouver un écrivain, Hicham Abbas, joué par Naji Najah, qui veut publier un manuscrit autobiographique. Chama, étudiante en sociologie, doit dactylographier le texte. La traduction évolue dans cet hiver 1991 vers la quête du passé. Chama, qui ignore où est enterré son père, veut tout savoir sur les circonstances de sa mort, le syndicaliste Ben Mahmoud. La recherche n'est pas facile. La mémoire est fragmentée, soigneusement soulignée par la trame du film. Chama, aidée par ses amis algériens, Nabila, interprétée par Rym Takoucht, et Noureddine, campé à l'écran par Hassen Kechache, va pousser Hicham jusqu'au bout. La douleur de la jeune fille monte au fur et à mesure qu'elle avance dans ses recherches. Le vent et la pluie sont là pour entretenir la froideur de la peine. Et comme le diable habite dans les détails, elle découvre le mensonge. Hicham, l'intellectuel, écrit son histoire comme une fiction. Il s'attribue les beaux rôles. Ceux qui l'avaient connu, lors des massacres sanglants de l'armée coloniale française de juillet 1961 à Bizerte (les palmiers de la ville portent toujours les impacts de balles), disent ne l'avoir jamais vu. Hicham doit-il perdre sa crédibilité en racontant la vérité ? Ou doit-il sauver son honneur en entretenant le mensonge ? Un dilemme. Le traumatisme aurait pu s'achever au fond d'une falaise, mais Abdellatif Ben Ammar a choisi de maintenir en vie l'homme qui falsifie l'histoire. L'histoire n'est-elle pas elle-même qu'une vérité provisoire ? Chama dit, presque à la fin du film, que l'histoire n'est finalement écrite que par les vainqueurs. Khalil, ami de Chama, tente de la dissuader de poursuivre sa quête. « Je te propose le futur et toi tu cherches à revenir au passé », lui dit-il, dans une ruelle sombre. Les jeunes Maghrébins, puisque le film est une co-production algéro-tunisienne, ignorent beaucoup l'histoire de leur pays. Le désintérêt est probablement motivé par l'incapacité des aînés à dépasser leurs peurs et combler les trous de mémoire. C'est également la volonté des systèmes politiques en place à maintenir l'entretien d'une histoire lisse et blanche. Les salons or-argent de « la famille révolutionnaire » en Algérie en sont la parfaite preuve. Après le noir, il y a le blanc. Ce blanc des tombes qui témoigne d'un passé douloureux. En introduisant des séquences sur la guerre du Golfe de 1991, Abdellatif Ben Ammar a voulu probablement montrer que les conflits se ressemblent. Les faibles et les innocents sont les premiers charbons des feux de ces guerres. Le réalisateur de Azziza (Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage en 1980) a également voulu souligner la situation de l'Algérie du début des années 1990. Noureddine, un chef d'orchestre, et Nabila ont fui la vague de folie qui s'est emparée d'une Algérie qui a raté le début de sa transition démocratique. Sensuelle et presque candide, Leïla Ouaz a campé tant bien que mal un rôle difficile. « J'ai tenté par tous les moyens de m'adapter à ce rôle. Le sujet est difficile. Il n'est pas facile aussi de jouer le rôle de la fille d'un martyr. Une fille de tous les Tunisiens et de l'ensemble du monde arabe. Son père est mort pour que les jeunes soient émancipés et conscients. Les jeunes doivent revenir à leur histoire, à leur identité et ne plus se perdre entre les autres civilisations », nous a-t-elle expliqué à la fin de la projection. Selon elle, le film dénonce la guerre, quelle que soit sa forme. Abdellatif Ben Ammar a confié que son idée était de partager une réflexion avec le public sur les « pages oubliées » de l'histoire. Durant le montage, le cinéaste a invité la fille de Farhat Hached, une des victimes du massacre de 1991, à visionner le film. « J'ai été ému de la voir pleurer », a-t-il dit. En choisissant Leïla Ouaz, le réalisateur a voulu donner de l'authenticité à son personnage. Rym Takoucht, qui a gardé son dialecte algérien dans le film, a joué avec beaucoup de fraîcheur et d'honnêteté. L'Algérienne Aïda Guechoud, qui a interprété le rôle de la gouvernante de Hicham, s'est parfaitement adaptée au drame de l'histoire. Son jeu naturel a émerveillé les présents à Carthage. Hassen Kacheche, toujours fidèle sa son image d'acteur convaincu, a été quelque peu désavantagé par un scénario trop axé sur la fragmentation. Mais la musique composée par Farid Aouameur était là pour tout lier. « Le réalisateur m'a forcé à m'impliquer dans l'histoire corps et âme. Les notes ne suffisent pas. Il faut une certaine profondeur humaine. Avant de passer à la phase de l'orchestration, le cinéaste m'a invité à visiter les lieux de tournage pour que je m'imprègne de l'ambiance », a confié Farid Aouemeur. Le chant de Aïda Niati a donné une épaisseur poétique à la fin du film, alors que la scène de danse, à la manière du cinéma russe, avec un Nouri Bouzid au violon, a mis du sucre là où il le fallait. Les palmiers blessés est co-produit par l'Algérienne Nadia Cherabi Labidi et le Tunisien Abdelaziz Ben Mlouka.