Salué par la presse tunisienne, le film a été présenté en avant-première, jeudi soir, à l'ouverture de la 46e édition du festival de Carthage. Un film intimiste, courageux et audacieux qui confronte les hommes au passé et à l'histoire… si rancunière ! L'une des plus grandes qualités de l'être humain, c'est sa capacité à se souvenir. Il ne peut aller de l'avant sans regarder en arrière, il ne peut se projeter dans l'avenir sans questionner le passé, il ne peut aller nulle part sans savoir d'où il vient. Car le passé ressurgit, refait surface au moment où l'on s'y attend le moins. Toutefois, si on emprunte les chemins sinueux et tortueux du souvenir et de la mémoire, on risque d'être choqué, peut-être frustré, mais, sans l'ombre d'un doute, libéré. L'héroïne entame une quête initiatique, courageuse et parfois même inconsciente de la vérité. Mais la vérité est douloureuse. Lorsqu'on est dans le noir et qu'on commence à entrevoir le bout du tunnel, la lumière éblouit. Les premiers plans des Palmiers blessés, d'Abdellatif Ben Ammar, installent dans l'époque (1990/91 : trente ans après les évènements de Bizerte et dans un contexte mondial de tension puisque la guerre d'Irak se prépare) et le lieu (Bizerte). Des séquences, quasiment sans dialogues, installent dans la réalité de l'héroïne, qui paraît dès les premiers plans, espiègle et mystérieuse. Les Palmiers blessés c'est l'histoire de Chama, une jeune Tunisienne, diplômée en sociologie, qui accepte de dactylographier le manuscrit de Hachmi Abbas, un écrivain, qui prétend avoir été héroïque durant les évènements de Bizerte de 1961. Cinq mille hommes étaient tombés au champ d'honneur suite à cette sanglante et brève confrontation, et parmi eux le père de Chama. Il est donc tout à fait normal qu'elle s'intéresse de très près à l'histoire qu'écrit Hachmi Abbas, et sa recherche de la vérité semble absolument nécessaire, car l'ouvrage de “Si Abbas” comporte beaucoup de contre-vérités. À travers les récits des anciens combattants, Chama retrouve peu à peu, par doses homéopathiques, son père dont elle ignore tout. Il était cheminot. Il était syndicaliste. Il avait la trentaine (le même âge que Chama) et venait d'avoir une fille. Il était courageux et il a donné sa vie pour son pays. Durant cette épreuve et parce que la vie est pleine de hasards, elle retrouve sa meilleure amie qu'elle avait perdue de vue depuis des années, Nabila. Une Algérienne diplômée en sciences naturelles, mariée à un musicien désabusé, Noureddine. Le couple, qui a quitté l'Algérie pour des raisons sombres puisque les conditions de son exil ne sont pas évoquées dans le film, soutient Chama dans sa quête de vérité. Khalil, qui cultive également des sentiments amoureux pour elle, l'aide et la soutient, même s'il ne comprend pas toujours sa quête acharnée. Les révélations foisonnent à la fin du film, mais le moment le plus fort est la confrontation entre Chama et Hachmi Abbas, en présence du fils adoptif de celui-ci, Kamel, qui se noie dans la baignoire au moment du face-à-face. Trois générations : celle de Hachmi Abbas, les contemporains des évènements de Bizerte qui ne sont que l'ombre d'eux-mêmes, la génération de Chama qui cherche à briser le silence des prédécesseurs, et celle de Kamel, les enfants… les hommes de demain qui n'auront aucun repère. C'est un regard critique, virulent et triste que pose Abdellatif Ben Ammar sur l'histoire. Une histoire écrite par les vainqueurs. Une histoire falsifiée et confisquée à la jeune génération. Car après avoir vécu un moment d'extrême douleur, l'homme a tendance à occulter les choses, à vouloir oublier, alors qu'il se doit de témoigner. Un film hautement symbolique ! C'est un devoir de mémoire. Un devoir de vérité. Les Palmiers blessés, coproduit par Procom International (Algérie) et Dumar Films-CTV Services (Tunisie), est un film intime qui propose d'appréhender l'histoire par la mémoire de Bizerte : une ville triste et froide, où les voix des milliers d'anonymes, tombés au champ d'honneur, résonnent encore par certains soirs d'hiver, pour celui qui veut bien tendre l'oreille et écouter. Tout comme son héroïne, Chama, qui reconstruit le présent par les fragments du passé, Abdellatif Ben Ammar construit le film par fragments. Le cinéaste ne propose pas un récit linéaire et ne décrit pas les évènements, il préfère explorer le capital des symboles (la photo de Colette représentant la France coloniale, l'aveugle sur le quai au début du film, qui filme, a les yeux grands ouverts, l'enfant qui se noie dans la baignoire, le karakou de Nabila, le train, le tunnel, le bout du tunnel) et joue sur les nuances. C'est un film très intime qui responsabilise les intellectuels et se veut tranchant et sans concessions envers les falsificateurs. Le casting a rehaussé davantage les Palmiers blessés avec Leïla Ouaz (Chama Ben Mahmoud) qui a été à la hauteur du personnage qu'elle incarne : forte, sensible et intelligente. Elle a donné la réplique à Naji Najah (Hachmi Abbas), qui s'est distingué par sa justesse. Du côté algérien, Aïda Kechoud était, dans le film, la femme courage qui travaille chez un homme qu'elle méprise, mais elle reste chez lui pour protéger l'enfant qu'il élève. Hassan Kachach (Noureddine) s'est distingué par sa sobriété et Rym Takoucht (Nabila) par sa maîtrise totale de l'émotion, puisqu'avec son personnage, nous sommes passés du rire aux larmes. Les Palmiers blessés est un film qui compte, d'autant qu'il s'interroge sur le parcours de l'Histoire. Fiche technique Les Palmiers blessés Genre : drame Durée : 1h46 Réalisation : Abdellatif Ben Ammar Scénario et dialogues : Abdellatif Ben Ammar Acteurs : Leïla Ouaz, Naji Najah, Rym Takoucht, Hassan Kachach, Aïda Kechoud, Jawhar Basti