La finale du Mondial-2010 opposera deux équipes ayant la même figure tutélaire : le Néerlandais Johan Cruyff a incarné le « football total » pendant l'âge d'or des Pays-Bas (années 1970), puis a appliqué ses idées de jeu offensif au FC Barcelone, dont s'inspire l'Espagne. « Pour qui suis-je ? Je suis Néerlandais mais je défends le football que pratique l'Espagne. Je veux profiter de cette finale intensément », a-t-il écrit dans sa chronique au journal El Periodico jeudi. « L'Espagne est maintenant la grande favorite, ajoute-t-il. La sélection de Del Bosque est montée en puissance et se retrouve en finale alors qu'elle est à son apogée dans le jeu ». Cette inclination pour l'Espagne s'explique par le fait que la légende du football néerlandais a fait de ce pays sa terre d'adoption, entre son passé de joueur (1973-1978) et d'entraîneur du Barça (1988-1996). Il a longtemps été l'éminence grise du président précédent du club, Joan Laporta, puis brièvement président d'honneur, et même sélectionneur de l'équipe de Catalogne. Certes, la Catalogne n'est pas l'Espagne. Mais cette Seleccion-là s'inspire largement du Barça. Contre l'Allemagne en demi-finale (1-0), elle alignait sept joueurs blaugrana dans son onze de départ. « L'Espagne, la copie du Barça, est la meilleure pub pour le football », écrit Cruyff, se félicitant de ce succès qui est un peu... le sien. Nommé entraîneur du FCB, il implante la tradition du dispositif en 4-3-3 (voire 3-4-3) avec la prépondérance du passage par les ailes et un jeu de passes léché. Le Barça remporte sa première Coupe des clubs champions (C1) sous ses ordres (1992). Plus tard, l'entraîneur actuel Josep Guardiola, considéré comme son fils spirituel, a réalisé un sextuplé inédit en 2009 en suivant les mêmes principes. Le maître Rinus Michels Dans les années 1990, le Néerlandais applique ses idées à la Masia (centre de formation du club) : tous les jeunes apprentis devront jouer selon le même schéma. Xavi et Iniesta sont de purs produits de la « fabrique Cruyff ». Le plus frais est Pedro, titulaire surprise contre l'Allemagne. « L'idée de Del Bosque d'aligner Pedro démontre qu'il sait à la perfection ce que chaque joueur azulgrana peut offrir : possession du ballon, peu de perte de balles, profondeur, sacrifice sur tout le terrain et, surtout, pressing à la perte du ballon », (s') applaudit Cruyff. Ces idées remontent aux années 1970. Cruyff est alors un joueur d'exception, un N.14 mythique qui a fait le bonheur de l'Ajax Amsterdam (dès l'âge de 17 ans) et de Barcelone, ainsi que de l'équipe des Pays-Bas qu'il guide vers la finale du Mondial-1974 en Allemagne (RFA). Ce natif d'Amsterdam représente le « football total » inventé par son mentor Rinus Michels, aujourd'hui décédé et considéré par la FIFA comme « l'entraîneur du XXe siècle ». Ces deux hommes ont révolutionné le football néerlandais — l'Ajax a remporté la Coupe des champions trois fois de suite (1971, 1972 et 1973) — avant de prêcher la bonne parole offensive en Catalogne. A 63 ans, Cruyff demeure très influent dans « ses » deux pays. Forcément, la statue du Commandeur est parfois perçue comme envahissante par les sélectionneurs des Pays-Bas. A l'Euro-2008, il s'était ainsi disputé avec son poulain Marco van Basten, alors à la tête des Oranje, quand ce dernier avait renoncé au 4-3-3. Et il goûte très peu aux conceptions défensives de Bert van Marwijk, le sélectionneur actuel qui manie la diplomatie : « Cruyff et Rinus Michels ont beaucoup influencé le jeu en Espagne et au Barça en particulier. Nous respectons beaucoup cela aux Pays-Bas mais mon équipe possède son propre style ».