L'économie continue son expansion et son intrusion dans des disciplines ou des sciences qui lui sont de plus en plus éloignées. Cela ne date pas d'aujourd'hui. Beaucoup de spécialistes critiquent ce qu'ils appellent l'impérialisme économique. On se souvient des percées des disciples de Gary Baker de l'université de Chicago où des phénomènes apparemment éloignés des préoccupations de l'économie furent soumis à l'analyse économique et à ses propres méthodes. On a voulu décortiquer des phénomènes comme les divorces, les vols, les crimes, l'incivisme et le reste par l'analyse coûts/bénéfices si chère aux économistes. On essaie de recenser les bienfaits tirés de ces pratiques et les risques avec leurs probabilités d'occurrence pour en tirer un résultat qui expliquerait le comportement des acteurs de ces agissements. Ces types d'analyses n'ont pas cessé, au contraire elles sont toujours d'actualité. Certes, elles n'ont pas reçu les reconnaissances internationales auxquelles elles s'attendaient. Gary Baker fut primée d'un prix Nobel mais sur des travaux qui concernent le capital humain. Domaine où on accepte largement la contribution économique. A un certain moment de son histoire, surtout lors des années 70 et 80', l'économie a voulu surtout développer ses aspects quantitatifs. On croyait pouvoir la rapprocher des sciences physiques par un maximum de quantifications statistiques et mathématiques. A ce moment là, on commençait à perdre pied. On pensait pouvoir mieux prévoir et agir avant l'apparition de crises de grande ampleur. Mais les chutes brutales de 1987 et surtout la crise des Subprimes avaient échappé à tous les modèles de prévisions construits à coups de plusieurs millions de dollars. La complexification des outils a amélioré très peu l'utilité et l'efficacité des modèles. C'est en ce sens que l'on s'est rendu compte également que les outils d'analyses dont nous disposons sont loin de refléter les aspirations humaines profondes liées aux champs économiques. Ce qui manquait Lorsqu'on analysait par les traditionnels outils utilisés par les économistes comme le PIB (ou le PNB pour les pays anglos-saxons), on se rendait vite compte qu'il est loin de se rapprocher du niveau de satisfaction psychologique induit. Ce n'est pas parce qu'un PIB par habitant est important que les citoyens vivent mieux, sont plus heureux et plus accomplis. Il fallait aller au-delà de ces outils purement économiques pour mieux cerner ces notions de bonheur et de bien-être humains. Les analyses de l'économiste indien Amartha Sen, prix Nobel d'économie, ont fait glisser petit à petit l'économie vers l'intégration de plus de paramètres qualitatifs dans l'analyse économique pour en tirer les conséquences sur le bien-être des citoyens. C'est ainsi que les travaux des commissions économiques de l'ONU avaient produit le fameux IDH (Indice de développement humain) qui devait mesurer la satisfaction des besoins humains induits par l'activité économique. On ne se contentait plus du volume de production de biens et de services par personne comme indicateur, mais des impacts sur la santé, l'éducation, les loisirs et le reste. Il fallait que l'économie induise plus de bien-être pour le maximum de personnes. Une concentration extrême de richesse aux mains d'une minorité ne serait pas considérée comme un progrès du bien-être puisque la majorité ne jouirait pas d'une amélioration de l'indice du développement humain. Mais l'indice de développement qui fut l'un des progrès fantastiques à l'analyse économique ne peut pas à lui seul maîtriser l'ensemble des conséquences utiles du processus de développement. Il s'intéressa surtout à ce qui est quantifiable (nombre d'années de scolarisation par tranche d'âges, etc.). Nous avons relevé une nette amélioration par rapport à la simple analyse du ratio revenu par tête d'habitant. Un pays peut être riche mais orienter toutes ses ressources vers l'armement et la satisfaction des besoins d'une minorité de citoyens privilégiés. On serait alors loin du bien-être tant recherché. Pour cela, on utilise des méthodes statistiques pour voir si la distribution des ressources serait acceptable d'un point de vue d'optimisation sociale (utilisation du coefficient GINI, par exemple). Mais l'économie du bien-être s'est également orientée vers tout ce qui est quantifiable, même si elle mesure les variables qui ont trait aux activités sociales et humaines des agents économiques. Parfois, les mesures donnent une indication biaisée à ce qui se passe dans le domaine économique et social. Analyse des perceptions : l'économie du bonheur L'économie du bien-être a beaucoup amélioré les analyses des sciences économiques traditionnelles en ce sens qu'elle essaie de déceler l'impact d'un développement économique sur la vie sociale et humaine des agents économiques. Cependant, elle rencontre souvent d'autres difficultés majeures. On peut avoir une analyse quelque peu biaisée. Un pays peut améliorer son score sur l'indice de développement humain alors que les conséquences sur la population sont minimes. On peut scolariser 99% des élèves en âge d'apprendre et investir beaucoup sur l'alphabétisation en ayant un enseignant pour dix élèves et disposer d'un secteur éducatif de piètre qualité. La même chose peut se réaliser au niveau de la santé : on peut améliorer le nombre de lits de soins par habitant et le nombre de médecins par habitant alors que la qualité des soins pourrait être médiocre même si on mettait d'énormes moyens dans ces secteurs qui essayent de couvrir les besoins essentiels des populations. C'est que les aspects qualitatifs profonds ne sont pas saisis par l'analyse. C'est pour cela que l'on peut trouver par exemple qu'un pays peut avoir un indice de développement humain avancé et en parallèle un système éducatif qui se classe toujours parmi les derniers pays au monde. L'Algérie est dans cette situation. L'économie du bonheur essaie surtout de mesurer la perception des gens. En ayant les indicateurs de croissance économique et de développement humain, on tente de mesurer le degré de satisfaction des gens dans différents domaines : santé, loisirs, relations familiales, sécurité au travail et autres pour en mesurer l'impact du développement sur le bonheur d'une personne. Dès lors, on peut avoir un pays moyennement développé mais avec un niveau de satisfaction de sa population plus élevé que celui des autres pays plus développés. On apprend de ceci qu'il faut aussi et surtout gérer les anticipations des agents économiques. Si on promet plus que ce que l'économie peut produire, on crée des frustrations et le niveau de satisfaction des personnes se trouve réduit alors que l'économie produit un volume impressionnant de biens et de services. C'est alors le degré de contentement des agents que l'on mesure. L'économie du bonheur a encore un long chemin à faire pour capter le niveau de satisfaction réel des gens. Mais elle a déjà fait son bonhomme de chemin.