Dès le début du hirak, un grand nombre d'avocats avaient rejoint les rangs du mouvement populaire et avaient même organisé leurs propres manifestations contre le 5e mandat et pour le changement du système, avec en priorité la revendication d'une justice indépendante. Une petite révolution au bâtonnat de la région de Constantine, mais un grand pas vers le recouvrement de l'estime et l'autorité qui sied à leur noble profession. L'indéboulonnable Mustapha Lenouar, 33 ans à la tête du bâtonnat, a été forcé samedi de quitter son «trône» au terme d'une assemblée houleuse tenue au Club des avocats de Constantine. Un changement longtemps espéré par une partie des avocats de la région (qui compte Constantine, Jijel, Mila et Skikda), notamment parmi les jeunes. Mais un changement devenu inaccessible au fur et à mesure que le bâtonnier sortant renforçait sa puissance, ses racines, et que les forces clientélistes s'accommodaient de la situation et des privilèges indus. Il faut savoir que cet Ordre régional compte plus de 3200 inscrits dont la vie et la mort (au sens professionnel s'entend) dépendaient d'un seul homme. Et les manquements sont banalisés dans les mentalités des avocats impuissants face à «l'empire» devenu invincible. On ne s'y attendait pas vraiment étant donné que le mandat de Lenouar n'expire qu'en avril prochain, mais l'AG de samedi, censée se limiter à la présentation des bilans moral et financier, a basculé totalement suite à la révolte d'un groupe devenu majoritaire, aboutissant au retrait de confiance à Me Lenouar au bout d'un scénario surprenant. On sentait le climat délétère au sein de la corporation à Constantine. Dès le début du hirak, un grand nombre d'avocats avaient en effet rejoint les rangs du mouvement populaire et avaient même organisé leurs propres manifestations contre le 5e mandat et pour le changement du système, avec en priorité la revendication d'une justice indépendante. On se souvient surtout que le bâtonnat de Constantine était parmi les premiers à lancer une grève des robes noires dans les salles d'audience de la région dans le cadre de la dynamique hirakiste. Une grève à laquelle avait souscrit le bâtonnier sous la pression générale, avant de se ressaisir et suspendre le mouvement. «A notre grande surprise, il avait pris la décision de suspendre la grève, et ce, sans réunir le conseil, ni demander l'avis de l'assemblée générale», raconte Me Fatah Djeniba. Ce dernier, membre d'un collectif de jeunes avocats constantinois ayant laborieusement œuvré pour ce changement, explique encore que les avocats subissaient diverses formes de menace, de suspension, notamment en cas de refus d'obtempérer. Le groupe d'avocats-témoins, que nous avons rencontré, se souvient aussi du refus du bâtonnat de Constantine de rejoindre la marche pour une justice indépendante à laquelle avait appelée l'Union des bâtonnats algériens, «décision personnelle qui n'exprimait en rien le sentiment des avocats», affirme encore Me Djeniba. Mais le point de rupture a été atteint suite au refus du bâtonnat de Constantine de débrayer à l'instar des bâtonnats contre la disposition introduite dans la loi de finances pour augmenter les taxes des avocats. «Cette énième décision personnelle contre notre volonté nous a fait nous sentir diminués par rapport aux avocats des autres régions, notamment ceux d'Alger et Béjaïa, qui ont été aux premières lignes pour défendre nos valeurs», regrette Me Amor Alla. Me Lenouar avait aussi pris la décision de suspendre la relation du bâtonnat de Constantine avec l'Union nationale des bâtonnats, ainsi que toute relation avec le bâtonnat d'Alger, «pour des raison strictement personnelles», ajoute Me Djeniba. Pour toutes ces raisons, la fronde menée par de jeunes avocats, secrètement et intelligemment, a réussi à obtenir la sympathie et l'adhésion d'une bonne majorité de leurs confrères. Le hasard du calendrier a fait que la date de l'assemblée générale coïncide avec la date anniversaire du hirak, le 22 février, une date symbolique qui a manifestement fait de l'effet chez nos interlocuteurs. En convainquant la majorité des élus du conseil, au nombre de 31, les «révolutionnaires» ont fini par atteindre leur objectif et retirer la confiance à Me Mustapha Lenouar. L'AG a désigné par la suite le plus ancien des avocats de la région pour gérer les affaires courantes et préparer l'assemblée élective pour le renouvellement du bâtonnat, prévue le 11 avril prochain. «C'est la première fois en Algérie que l'organisation de l'élection se fait démocratiquement avec un comité choisi librement par les avocats», souligne Me Alla. Il semble clair qu'une nouvelle dynamique est engagée chez les avocats du bâtonnat de Constantine qui affichent d'ores et déjà des ambitions débordantes pour remettre sur les rails leur organisation et redorer le blason de la défense, qu'ils estiment « clochardisée» depuis trop longtemps.