Vendredi 9 juillet 2010, 600 mètres sous nos pieds, c'est la fournaise. Habituellement, et spécialement les week-ends, le long serpentin qui grimpe jusqu'au fort de Yemma Gouraya fourmille de grappes de « pèlerins » venus à pied. Sous les 40 degrés qui font fondre l'asphalte ce vendredi, on préfère monter en voiture ou emprunter un des taxis au départ de la Porte Gouraya, moyennant la modique somme de 50 DA. On s'est dit qu'on savourera le panorama, une fois là-haut. Mais du monde, ce n'est pas ce qui manque ce jour-là. Notre chauffeur de taxi nous dit à ce propos que la procession de visiteurs a commencé « l'escalade » tôt dans la matinée. Dès 7 heures à peu près. L'affluence est un peu moins importante que l'été passé à la même époque mais nous aurons remarqué, au niveau du parking bien organisé par le gérant, des bus et des voitures immatriculées de tous les coins d'Algérie. Ils sont nombreux à faire le déplacement d'Alger, de Tizi Ouzou mais aussi de Bordj Bou Arreridj, Sétif, Bouira, Tipasa,… et, ce vendredi, en force de Boumerdès. Il n'y a pas d'animation particulière. Avouons toutefois que l'on ne demande rien. Pas plus que de mettre tout son état d'âme dans la contemplation de l'immense tableau que peignent la ville en contrebas, la grande bleue et en fond de toile, la chaîne des Babors. A cette envoûtante vue panoramique s'ajoute la magnificence des lieux que compose la beauté agreste du relief parcouru d'un épais maquis percé çà et là par des éminences de granit et quelques poches de séculaires pins sylvestres qui ont survécu aux terribles incendies de 1974, 1984 et 1995. Les deux aires de détente occupent avec le parking et l'espace boutiques de souvenirs l'essentiel du plateau qui précède l'ascension vers le fort Gouraya. Il faut continuer à pied. Mais beaucoup préfèrent s'offrir une halte au niveau des aires de jeux. Ici l'ombre est généreuse. L'envolée du mercure est moins folle. Des groupes de familles qui ont eu la chance de tomber sur des bancs libres déballent leur panier de victuailles. Les autres peuvent toujours se faire une bouffe au pied d'un arbre. Les enfants, eux, ne veulent aucun partage des toboggans et des balançoires. La gent féminine domine. Deux trouvères passeront dans le mode du folklore tout le répertoire kabyle en vogue. Un cercle de spectateurs se formera autour de quelques amateurs du déhanchement. Zwitt, Erwitt, on ne se prive pas de prêter voix à la joyeuse chorale. Une partie de football a lieu dans un terrain nu mitoyen mais les deux équipes se livrent sans acharnement. Elles ont plutôt l'air de s'amuser, en diapason avec l'ambiance bon enfant qui met tout le monde dans la communion. Calme et tranquillité. Lamine, qui tient un snack, nous apprend que la sécurité est de mise. Les gardes forestiers du PNG (Parc national de Gouraya) veillent au grain et la gendarmerie fait périodiquement des tournées. Les boutiquiers ont aussi apporté leur contribution pour débarrasser l'endroit de la petite délinquance. Lamine n'arrive pas cependant pas à comprendre qu'après avoir payé 15 000 DA de droits à l'APC, il ne soit pas encore branché en électricité et que l'éclairage public fasse défaut alors que les poteaux et les lampes sont installés. En tout cas, dit-il, il n'a pas vu une seule fois une lampe allumée depuis le début du mois. Comme tous les autres boutiquiers, il a recours à un groupe électrogène. De même que des sanisettes ont été débarquées mais à ce jour pas mises en service. Eh bien, si vous êtes pris d'un besoin pressant, allez vous soulager derrière un buisson, ou reprenez tout de suite la route ! Mourad et Rabah, vendeurs, évoquent également le problème des toilettes. « Imaginez la gêne des femmes à se soulager dans la nature », font-ils pertinemment remarquer. À l'assaut de Fort Gouraya Le soleil commence à décliner. Nous nous aventurons sur les étalages des vendeurs. Surprise, ces derniers ne sont pas collants. Ils se font discrets. Pêle-mêle, vous sont proposés des amulettes, des bracelets en bois, des chapeaux, des figures de coquillages, des tableaux et de la petite poterie. Ou tout simplement un rafraîchissement. Allez ! A l'assaut de Fort Gouraya. La montée n'est pas trop pénible… évidemment, pour les plus jeunes. Brahim, un Algérois qui passe ses vacances au bord de la mer, à Beni Ksila, a ramené sa mère. Une septuagénaire. Elle est essoufflée. Il aurait aimé qu'un téléphérique…Il ne finit pas sa phrase, un peu pour dire que c'est peut être trop demander. Le bonhomme connaît la conception simpliste qu'on se fait de la mise en valeur de nos potentialités récréatives. Il montre du doigt des détritus qui « ornent » les talus. Pas besoin de haute technologie ou de gros investissement pour enlever au moins ça, enjoint-il. Néanmoins, un mieux mérite d'être ici rapporté : le dallage du chemin pédestre menant en haut du piton. Il était resté longtemps, caillouteux, tel que l'avait érigé le génie militaire français dans les premières décennies de l'occupation. Un fléchage, manière Crocodile Dundee, indique, à un détour, un sentier pédestre. Le Sentier de la crête. Il signale les distances et le temps que vous prendrez à pied bien sûr, si ça vous dit de bifurquer ainsi vers le Pic des singes, le Plateau des chardonnerets, le Tunnel du Cap Carbon. Une heure pour faire les 1400 mètres qui séparent du premier endroit, où une table d'orientation vous invite à une leçon de géographie marine présentant toute notre côte et l'autre rive … 1h40 pour parcourir les 3000 mètres, pour aller vers le second et 1h50 pour les 3840 mètres, reliant le troisième. Personne n'ose s'y aventurer. Pour visiter ces endroits, d'aucuns préfèrent emprunter la chaussée goudronnée. Le fort grouille de « ziyarine » Sur les surfaces lisses des rochers bordant le chemin, des visiteurs ont immortalisé leur passage où ils y ont gravé leur déclaration d'amour. Avant l'arrivée au fort, nous fait saliver une odeur alléchante, mélange d'une friture de beignets et d'un bouillon épicé pour un couscous au mouton, avons-nous deviné. Avant, des envolées acrobatiques de singes magots amusent des bambins qui « payent » le spectacle par gaufrettes et chips, sonnantes et trébuchantes. Les singes se font servir. Ils ont l'air d'avoir changé de régime. Le fort grouille de « ziyarine ». Une alcôve est illuminée par de nombreux cierges brûlés après avoir invoqué la baraka de la sainte patronne de Béjaïa. Hassiba, perpétue la tradition qui veut que si vous consentez une offrande, vous vous barbouilliez de henné la paume de la main. Le « khfeff » est distribué généreusement. C'est Farida, venue pour cela d'Aït Smaïl, qui a fait cette « ouaâda ». Quant au couscous au mouton, c'est une famille de Melbou qui régale. La descente est du gâteau. La nonchalance est le meilleur rythme de progression conseillé. Revenu au niveau du plateau en contrebas, nous faisons la remarque sur la saleté qui altère la beauté des lieux. Nadir, un inconditionnel des lieux, se défendra de faire porter le chapeau aux autorités. Il explique que chaque matin le camion de collecte du PNG fait son travail. Toutes les poubelles sont vidées. Et deux volontariats ont eu lieu, ces derniers jours. Ils sont à l'actif d'un collège de la ville et des scouts, la section Bouzouzou, précisément. Autrement dit, c'est au visiteur de faire montre de civisme, comprendrons-nous. Nous redescendons vers la ville. L'image est floue. Béjaïa, la cité, est drapée d'un nuage d'humidité, de gaz et de poussières.